En cette fin de semaine de la Saint-Valentin, où les fleurs sont à l’honneur, je voudrais revêtir mon ancien costume de biologiste végétaliste pour vous parler de la vérité cachée dans un bouquet floral. D’abord, n’oublions pas que les fleurs sont les organes reproducteurs des plantes. Lorsque votre beau galant se présente à votre premier rendez-vous doux en brandissant son bouquet, il ne cherche pas seulement à conter fleurette… il entrevoit la possibilité de butiner ! Voilà ce que dirait, à juste raison, une plante à fleurs aux nouveaux amoureux. Disons que dans l’œil d’un biologiste végétaliste, on est bien loin de la définition du romantisme.

N’oublions pas non plus que les fleurs sont colorées pour racoler ! Ces « beautés pétales » font de l’œil aux entremetteurs ailés que sont les pollinisateurs ; car comme je le disais, elles sont avant tout des organes reproducteurs. En 1694, lorsque le botaniste allemand Rudolf Jakob Camerarius (1665-1721) osa affirmer que les fleurs étaient des organes sexuels, la nouvelle parvint jusqu’aux chastes oreilles des autorités ecclésiastiques qui montèrent au créneau pour le faire taire. Camerarius, un chouia provocateur, ne tomba évidemment pas dans les bonnes grâces de l’Église quand il compara l’expulsion des grains de pollen par les fleurs à une éjaculation végétale !

Comment voulez-vous que des gens qui ont fait vœu de chasteté se réjouissent d’apprendre que ce sont les « spermatozoïdes » des végétaux présents dans leurs voies respiratoires qui les font éternuer au printemps ?

Même si les plantes nous attendrissent par leur beauté, associer leur floraison au romantisme relève d’une grande perversion botanique. Et cette idée remonte à la nuit des temps. La passion humaine pour certaines fleurs d’orchidées, par exemple, mena bien des explorateurs aux quatre coins du monde. Pour dénicher ces œuvres d’art florales, plusieurs s’enfoncèrent dans les forêts tropicales humides et couraient de grands périls. Nombre d’entre eux, aux XVIIIe et XIXsiècles, furent dévorés par des bêtes sauvages, emportés par les rivières ou terrassés par des maladies tropicales. Il y a même des extrémistes chez les fleuristes, qui l’eût cru !

Il faut dire que certaines de ces fleurs exotiques se vendaient à des prix d’or en Europe. Lorsque le botaniste flamand Charles de l’Écluse (1526-1609) a introduit les tulipes en Occident au XVIsiècle, l’envoûtement fut immédiat. Le commerce des tulipes fut si florissant – c’est le cas de le dire – que les Hollandais devinrent des disciples fanatisés de cette plante emblématique de l’Empire ottoman. Au XVIIsiècle, les sélectionneurs s’acharnèrent à développer des variétés de tulipes toujours plus belles et plus originales. Certains caractères floraux aux robes panachées se détaillèrent à des prix équivalant à 10 fois le salaire annuel moyen d’un Hollandais.

On raconte que pendant cette tulipomania hollandaise, les bulbes feront l’objet d’une spéculation aussi indécente que lors de la condomania montréalaise qui sévit actuellement dans certains arrondissements ! Les prix de plus en plus élevés des variétés rares finiront par faire crasher la Bourse florale hollandaise en 1637. Cet effondrement du cours des bulbes de tulipe sera d’ailleurs considéré par certains historiens comme la toute première bulle spéculative de l’histoire de l’humanité. Cette « bulbe » spéculative touchera aussi la jacinthe, une autre fleur bulbeuse originaire de l’Asie du Sud-Ouest. Mais, malgré cet épisode, la Hollande demeure encore la capitale mondiale des tulipes.

Les dahlias, fleurs natives du Mexique dont le nom tire ses origines du botaniste suédois Anders Dahl (1751-1789), suscitèrent une grande convoitise au moment où ils furent présentés à l’Europe. La noblesse française, particulièrement, succomba vite à leur charme. Au XIXsiècle, l’impératrice Joséphine, épouse de Napoléon, se positionna comme la marraine et protectrice du dahlia. De la France, la mode toucha bientôt toute l’Europe, et cette fleur fera, elle aussi, l’objet d’outrageuses spéculations. Des parterres de dahlias se vendirent à des prix qui dépassaient l’entendement. On parle même de semences de variétés rares qui auraient été échangées contre des pierres précieuses. Bref, notre passion pour les organes sexuels de certaines plantes est bien plus vieille que la version commerciale de la Saint-Valentin que nous célébrons en fin de semaine !

S’il est vrai que l’expérience ne s’achète pas, les plantes ont des choses à nous apprendre, car elles pratiquent la reproduction sexuée depuis au moins 150 millions d’années alors que l’humain moderne a 300 000 ans d’âge.

Cette reproduction des plantes à fleurs nous obsède si fort qu’on n’hésite pas, dans le langage populaire, à y projeter nos propres parades amoureuses.

Pendant que certains effeuillent la marguerite, d’autres cultivent leur jardin secret ou se racontent des histoires à l’eau de rose. Disons qu’on a le vocabulaire fleuri ! Dans les noms que nous avons flanqués aux fleurs qui s’exhibent devant nous, les références à la sexualité humaine ne sont jamais loin : pensons aux verges d’or, piment-pénis, téton de Vénus, cuisse-madame, gratte-cul, coco-fesse, phallus de titan… Disons qu’on est au ras des pâquerettes !

Et même quand la fleur fécondée devient fruit, la liste des allusions sexuelles s’allonge : pour les messieurs, on évoque la banane, le concombre, l’aubergine ou, pour les moins fortunés, l’asperge ou la courgette. La rondeur et la fermeté d’une paire de pommes, d’oranges, de pamplemousses ou de melons rappellent pour leur part certaines poitrines féminines. Pour les testicules, en plus des incontournables noix, on réfère souvent aux figues, aux olives ou aux prunes, les avocats selon les saisons ! C’est à se demander si, pour ce qui est de la sexualité, l’humanité ne vit pas un certain complexe d’infériorité face aux plantes à fleurs. Sinon, comment expliquer que nos « jeunes pousses » soient des « rejetons » ou qu’ils soient le « fruit » de notre union ?

Vous trouvez peut-être que je suis dans le champ avec mes réflexions, que je pousse un peu fort sur le lien entre fleur et sexualité humaine. Si c’est le cas, je tiens à m’excuser auprès de toutes les Jacinthe, Iris, Marguerite, Jasmine, Capucine, Violette, Églantine, Rose, Garance, Hortense, Lila, Florentine, Dahlia, Anémone, Camélia, Capucine, Mélisse, Lys, Flore, sans oublier Narcisse, Yacinthe et Jasmime, qui, jadis, sont venues au monde dans les roses ! La morale de mon histoire est la suivante : Caroline, de toutes les fleurs de la Terre, c’est toi ma préférée.

Joyeuse Saint-Valentin à vous tous !

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