Les trois associations provinciales représentant les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale lancent un cri d’alarme au sujet du projet de loi 15 sur la protection de la jeunesse, muet sur la question de la violence conjugale et postséparation.

La récente volonté politique de protéger les femmes et les enfants victimes de violence conjugale est bien entendue. Elle s’inscrit à travers plusieurs réformes, notamment celles du droit de la famille et du Code civil, l’instauration de tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle et de violence conjugale et l’implantation de bracelets antirapprochements. Pourquoi donc cette incohérence quant à la Loi sur la protection de la jeunesse ?

Il n’est plus à démontrer que les effets de la violence conjugale sur les enfants sont multiples et vont parfois jusqu’à la mise en danger extrême de ceux-ci, comme l’illustrent les trop nombreux infanticides des dernières années.

Les dysfonctionnements en matière de protection de la jeunesse en contexte de violence conjugale persistent et les rapports se multiplient pour réclamer des changements systémiques. Le projet de loi 15 est une occasion longuement attendue de corriger les impasses et d’assurer la protection des mères et des enfants.

Notions absentes et continuum de services incomplet

Comme l’indique la recommandation 132 du rapport Rebâtir la confiance, une modification s’impose à la Loi sur la protection de la jeunesse pour que l’exposition des enfants à la violence conjugale soit reconnue comme une forme distincte de mauvais traitements, au même titre que les abus et la négligence. Cette modification permettrait la prise en compte des complexités en lien avec les situations de violence et la détermination des modalités de garde qui sont dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une reconnaissance effective de la notion de contrôle coercitif, présente en situation de violence conjugale et postséparation, s’avère également essentielle pour assurer la sécurité des enfants sur les plans physique et psychologique, ainsi que pour garantir une cohérence entre les différentes sphères du droit – criminel, familial et en protection de la jeunesse –, comme le préconisait également le rapport.

À ce titre, nous plaidons pour l’intégration de la violence conjugale en tant que motif de compromission à part entière, plutôt que faisant partie des mauvais traitements psychologiques. Cet ajout, en plus de permettre un arrimage avec la nouvelle Loi sur le divorce au niveau fédéral, sera à même de guider les interventions tout en évitant les glissements et les interprétations arbitraires.

La mise en place d’un filet de sécurité pour les femmes et les enfants victimes de violences nécessite un continuum de services adéquat faisant appel à une diversité d’interventions, incluant celles de la protection de la jeunesse.

Il y a là une réelle occasion de jouer un rôle clé dans la vie des enfants. Pour cela, il est impératif d’outiller les acteurs concernés et d’assurer une formation continue. C’est donc dire qu’en plus d’une collaboration pleine et entière avec les maisons d’hébergement, il est nécessaire que les pratiques en protection de la jeunesse intègrent les notions de violence conjugale et de violence conjugale postséparation.

Vide juridique et injonctions contradictoires

Actuellement, les vides juridiques en matière de violence conjugale et la méconnaissance de cette problématique dépossèdent les mères d’une véritable capacité d’action afin de garantir leur sécurité et celle de leurs enfants. D’une part, elles sont enjointes à quitter le conjoint violent afin de mettre fin à l’exposition des enfants à la violence conjugale. D’autre part, après la séparation, les mères doivent se plier aux plans d’intervention priorisant la coparentalité et le maintien de la relation père-enfants. Ces interventions ne tiennent pas compte des risques que cette nouvelle exposition comporte.

Il est important de rappeler que la séparation est la période où le risque homicidaire est le plus élevé, à la fois pour les femmes et pour les enfants.

Or, trop souvent, la dynamique de violence postséparation est confondue avec un conflit sévère de séparation et les mécanismes de protection, mis en place par les mères, sont perçus à tort comme une forme d’aliénation parentale.

Plusieurs infanticides auraient pu être évités si les services de protection de la jeunesse avaient été suffisamment outillés pour, d’une part, dépister les indices de violence conjugale et les éléments de dangerosité et, d’autre part, orienter leurs interventions vers une mise en sécurité rapide pour prévenir le passage à l’acte.

Un encadrement législatif s’impose pour garantir une prise en compte de la violence conjugale au moment de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant, à la fois dans l’intervention en protection de la jeunesse et devant les tribunaux.

Nous invitons le gouvernement à agir sur la question de la protection de la jeunesse en cohérence et avec la même détermination que pour ses engagements déjà pris en matière de violence conjugale.

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