Un brin d’histoire : rappelons que le projet de loi 21 adopté en 2009 visait à garantir la compétence, l’imputabilité et l’intégrité des professionnels de la santé mentale et des relations humaines, comme c’est le cas dans le domaine de la santé physique. Le PL 21 établissait les actes professionnels réservés à haut risque de préjudice et la psychothérapie.

Choisir de pratiquer la psychothérapie implique de savoir consciemment qu’il y a des risques de préjudices. Mais l’obligation redditionnelle pèse lourd dans le réseau de la santé.

Nombre de psychologues quittent le réseau, c’est connu. Ceux qui restent se voient confier la prise en charge des usagers les plus vulnérables. Leurs problématiques sont complexes, souvent chroniques. Étant donné le nombre toujours décroissant de psychologues dans le réseau, les références qui leur sont confiées sont donc scrutées et passées au peigne fin, afin de s’assurer qu’aucune autre profession ne puisse répondre aux besoins de l’usager. C’est le dernier maillon de la chaîne de services publics, le service spécialisé, voire surspécialisé, celui qu’on sollicite après avoir tout essayé, celui sur qui on compte. C’est aussi celui à qui on impute l’évolution de l’usager.

Dans le réseau, la responsabilité signifie que l’on doive justifier l’évolution de l’usager. Mais à grands coups de cadre de pratique limitant le nombre de rencontres, d’épisodes de services brefs, de programme « clés en main » impersonnel et de restrictions budgétaires empêchant de répondre aux exigences de formation continue à l’OPQ, le défi est quasi insurmontable. Comment est-ce que la clientèle la plus vulnérable peut progresser dans un cadre aussi restrictif ?

Est-il bénéfique ou préjudiciable pour un usager de ne pouvoir traiter qu’un symptôme, car aborder le problème de fond demande trop de temps ? Quel psychologue a le goût de justifier l’inacceptable ? Qui a le goût de porter le poids de l’aberration ?

Les psychologues du réseau œuvrant au sein d’une équipe interdisciplinaire jouissent du travail de collaboration et de concertation. Ils peuvent alors mettre à profit une vision et une compréhension holistique de l’usager. L’envers de la médaille est que cette équipe compte sur l’évaluation psychologique ou neuropsychologique et la psychothérapie pour assurer la progression de l’usager. Lorsque l’évolution stagne ou régresse, le psychologue doit le justifier. À l’usager lui-même, à l’équipe, aux supérieurs, aux médecins, aux agents payeurs. Il doit proposer des solutions, un plan d’intervention. Il doit être juste et rapide. C’est exigeant. C’est lourd.

Psychologue en région éloignée

Travailler en région éloignée représente un défi supplémentaire, la pénurie de main-d’œuvre y étant plus présente et l’accès aux services médicaux spécialisés étant ardu. Les équipes comptent ainsi diablement sur l’implication du psychologue dans l’évaluation et la prise en charge de l’usager. Et le psychologue, sur quel confrère peut-il compter pour un avis psychologique en soutien au sien ? Il y a si peu de psychologues en région éloignée qu’on se retrouve trop souvent seul. Seul face à la situation de l’usager, face aux attentes de l’équipe, face même au corps médical qui ne sait plus quelle intervention adopter.

Il n’est pas étonnant que les psychologues désertent le réseau public pour aller travailler au privé, alors qu’ils ont la liberté de gouverner leur pratique. Ils peuvent pratiquer selon les hauts standards de la profession, en toute cohérence et en tout respect pour leur clientèle et eux-mêmes.

Ils peuvent prendre le temps et laisser le client cheminer à son rythme. Ils ont la liberté d’accompagner leur client jusqu’à la fin, de vivre une réussite professionnelle simultanément au rétablissement du client, en harmonie avec le client. Ils ont la liberté de se former sur des thématiques de leur choix, de s’offrir de la supervision professionnelle.

La clientèle du privé est différente : moins complexe, moins chronique et plus mobilisée dans la démarche thérapeutique. Oui, le psychologue du privé est responsable et il pratique selon les hauts standards de la profession. Mais la responsabilité a une valeur, la valeur salariale. À ce salaire s’ajoute l’accomplissement professionnel, qui se vit sans pression indue.

En pratique privée, la responsabilité coule plus doux. Elle a même une connotation positive ; elle renvoie au succès thérapeutique et au rétablissement de l’usager.

Et si on monnayait la responsabilité dans le réseau public, est-ce que cela rehausserait sa valeur ? Est-ce que le poids s’allégerait ? Je crois que ça vaut le coup d’essayer.

La reconnaissance, d’abord par une rétribution financière honorable et respectueuse, de toute l’implication qu’exige la pratique dans le réseau de santé public permettra la rétention de la profession dans le réseau.

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