Ça va prendre combien de scandales pour que les milieux du sport et de l’éducation protègent les jeunes le plus pleinement ?

Car du laxisme face aux abus et aux violences, il y en a.

« Je ne sais pas si le gouvernement s’en rend compte, mais on a de 15 à 21 ans. On va à l’école, on travaille, on est censées profiter de notre jeunesse, mais on est là à se battre pour que des adultes fassent leur travail ! »

C’était le cri du cœur de Kenza, membre du collectif La voix des jeunes compte, dont la parole fut rapportée dans une chronique de Rose-Aimée Automne T. Morin publiée le 30 janvier dernier1. Ce collectif milite depuis près de cinq ans contre les violences en milieu scolaire. Aujourd’hui, il réclame que le gouvernement légifère rapidement la prévention et le combat des violences sexuelles aux niveaux préscolaire, primaire et secondaire.

Sur Instagram, La voix des jeunes compte expose explicitement, citations à l’appui, la nature des violences en milieu scolaire. « Ça s’est passé dans le gym », dit l’un de ces témoignages. Voilà une expérience en contexte sportif qui n’est pas isolée.

J’en discutais en décembre dernier avec l’intervenante jeunesse Clorianne Augustin, qui accompagne les démarches de La voix des jeunes compte. Elle et moi étions d’accord : les jeunes athlètes sont trop souvent victimes d’abus sexuels commis par des entraîneurs.

L’actualité de la semaine dernière nous aura malheureusement donné raison.

Daniel Lacasse, Robert Luu et Charles-Xavier Boilard, entraîneurs de basketball féminin à l’école secondaire Saint-Laurent, ont collectivement été accusés de contact sexuel, d’incitation à des contacts sexuels, d’agression sexuelle et d’exploitation sexuelle.

Voilà une triste nouvelle, qui rappelle l’importance de légiférer et la pertinence de faire connaître les mécanismes de dénonciation et de soutien en cas d’abus sexuels. Sur ce point, il vaut la peine de souligner qu’en plus des recours criminels, l’organisme Sport’Aide* offre une ligne d’écoute confidentielle pour toute personne souhaitant obtenir du soutien en regard d’une situation de violence en milieu sportif. Par ailleurs, le gouvernement du Québec a créé, en 2021, l’Officier des plaintes, qui traite les dénonciations formelles de violence dans le sport. La voix des jeunes compte estime qu’il faut en plus offrir aux jeunes des moyens de se confier dans leur milieu immédiat. Je suis d’accord.

Et permettez-moi d’en dire un peu plus à la lumière de mon expérience de sportif, d’entraîneur et de formateur d’entraîneurs.

J’ai d’abord une pensée pour ces femmes et adolescentes directement touchées par la nouvelle dévoilée la semaine dernière. J’ai aussi une pensée pour toutes les personnes pour qui la nouvelle a éveillé des souvenirs douloureux. Le milieu de l’éducation, et le milieu sportif en particulier, a failli à la tâche de les protéger.

Je ne dis pas qu’il faut se méfier de tout le système ni de tous les entraîneurs. D’ailleurs, j’ai connu à l’école secondaire Saint-Laurent plusieurs entraîneurs dont l’engagement est exemplaire. Isabelle Chiasson, responsable du programme de basketball masculin de l’école, est l’une d’entre elles. Rima Elkouri soulignait l’automne dernier2 à quel point elle se dévoue corps et âme pour les jeunes, dont plusieurs sont issus de l’immigration.

Mais la bienveillance d’une entraîneuse comme Isabelle Chiasson ne devrait pas éclipser les pratiques fautives ailleurs dans l’école.

Robert Luu, Daniel Lacasse et Charles-Xavier Boilard n’étaient pas entraîneurs d’une seule équipe. À eux trois, ils encadraient les trois principales équipes compétitives au niveau féminin, des plus jeunes aux finissantes. Voilà qui est particulièrement révoltant. En principe, l’entraîneur devrait entretenir avec les jeunes un lien de confiance permettant justement les confidences en cas d’abus. À qui les basketteuses de Saint-Laurent pouvaient-elles se confier ?

De plus, j’estime que le personnel et la direction de l’école secondaire Saint-Laurent ont fermé les yeux face à des comportements graves. Je ne les accuse pas d’avoir fait preuve d’aveuglement face aux abus sexuels allégués ici. D’ailleurs, de tels crimes surviennent souvent de façon sournoise après les heures de cours ou lors de tournois, à des moments privilégiés entre les entraîneurs et les jeunes.

Connaissant la réputation des principaux programmes de basketball québécois, j’insiste plutôt sur le fait que personne ne pouvait ignorer la culture sportive toxique régnant au sein du programme de basketball féminin. Daniel Lacasse en particulier, le responsable du programme, était connu pour sa posture de coaching mettant à risque la sécurité psychologique des jeunes.

Il arrive que des écoles et des centres de services scolaires traitent avec désinvolture des abus de leur personnel. C’est ce qu’a dénoncé l’an dernier le mouvement Les Béliers solidaires en ce qui a trait à du racisme et autres violences sévissant à Montréal-Nord.

Et ce fléau n’appartient pas qu’aux écoles. D’ailleurs, Daniel Lacasse et son équipe d’entraîneurs étaient valorisés dans le milieu du basket québécois, au-delà de leur école.

On banalise souvent des pratiques de coaching néfastes parce que la victoire est au rendez-vous, parce que des athlètes ayant subi ces pratiques ont néanmoins atteint les plus hauts sommets, parce que les abuseurs aident des athlètes à se sortir de la pauvreté, ou encore, dans une école, parce qu’une approche punitive à outrance instaure une discipline éliminant les problèmes à court terme.

Pourtant, le bâton brise les jeunes à long terme.

Comment peut-on se surprendre des dommages si on accepte comme entraîneurs des personnes qui, en premier lieu, n’ont pas le niveau d’intégrité nécessaire pour exercer le rôle ? Notre société traite les entraîneurs comme les parents pauvres de l’éducation, comme si l’excellence éducative en sport pouvait être laissée au hasard. Au service de la protection des jeunes, la professionnalisation de la fonction de l’entraîneur, qui implique la sélection, la formation, la rémunération et les exigences d’éthique qui en résultent, est une avenue qui mérite d’être explorée.

Il faut ajouter que cette exploration manquera d’éthique tant et aussi longtemps que la performance sportive sera le premier indicateur de succès de l’univers sportif, laissant dans son angle mort les questions de sécurité et de développement global.

Enfin, comme amoureux du basket québécois, je ne saurais passer sous silence… la loi du silence. Celle qui fait en sorte qu’encore aujourd’hui, plusieurs entraîneurs soupçonnés d’avoir commis des abus sexuels continuent à exercer leur rôle en toute impunité. Nous avons notre examen de conscience à faire. Il faut qu’on se parle. Il faut qu’on parle.

* Je suis administrateur de cet organisme à titre bénévole.

1. Lisez la chronique de Rose-Aimée Automne T. Morin 2. Lisez la chronique de Rima Elkouri Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion