En parcourant le Canada avec mon documentaire Modifié⁠1, j’ai remarqué qu’une partie du film suscitait toujours une forte réaction du public. Il s’agit de la scène qui documente ma tentative (longue, exaspérante et ultimement futile) d’obtenir une entrevue avec Santé Canada.

Le film nous suit, ma mère et moi, alors que nous nous embarquons dans un voyage d’investigation de plusieurs années dans l’univers complexe des aliments génétiquement modifiés (les OGM).

L’idée du film a germé en 1999, quelques années après l’apparition des premiers OGM sur le marché, lorsque le gouvernement canadien avait demandé à la Société royale du Canada d’évaluer notre nouveau système de réglementation des OGM.

Il en est résulté une enquête approfondie menée par un groupe de 15 des plus grands experts canadiens dans le domaine, suivie d’un rapport de 245 pages qui fut décrit par le Toronto Star comme « une mise en accusation polie mais cinglante » du système de réglementation des OGM du gouvernement fédéral.

Le rapport contenait 53 recommandations visant à remédier au manque de transparence et de rigueur scientifique, mais à ce jour, ces recommandations ont été largement ignorées par notre gouvernement. Plutôt que de réparer notre système de réglementation des OGM, notre gouvernement propose maintenant de l’affaiblir encore plus.

Aucune surveillance gouvernementale

Santé Canada et l’Agence canadienne d’inspection des aliments ont récemment proposé d’exempter de nombreux nouveaux aliments et semences génétiquement modifiés – en particulier ceux créés par l’édition du génome – des évaluations de sécurité gouvernementales.

Les entreprises qui produisent des OGM évalueraient elles-mêmes l'innocuité sanitaire et environnementale de leurs propres produits. Il n’y aurait aucune surveillance gouvernementale et aucune obligation d’informer le gouvernement, les consommateurs ou même les agriculteurs, laissant tout le monde dans l’ignorance.

Les agriculteurs pourraient planter sans le savoir ces nouveaux OGM non réglementés, les consommateurs les mangeraient, et le gouvernement ne serait même pas au courant de leur existence.

Pendant 25 ans, le gouvernement canadien a ignoré les souhaits des Canadiens et refusé d’étiqueter les OGM. Nous sommes maintenant le seul pays industrialisé au monde à ne pas les étiqueter. Avec les nouveaux changements réglementaires, le peu de transparence qu’il nous reste disparaîtrait.

Multinationales et groupe de lobby

Cette attaque contre notre système de réglementation émane des multinationales de la biotechnologie et des pesticides, et de leur groupe de lobby CropLife Canada, dont l’objectif est de commercialiser les nouveaux OGM plus rapidement, et plus discrètement.

Les premières ébauches des nouvelles directives réglementaires datant de février 2020 montrent que Santé Canada avait initialement proposé que les aliments issus de l’édition du génome soient soumis à la même évaluation des risques que tous les autres OGM.

Cependant, après des réunions avec CropLife Canada, Santé Canada a révisé ses propositions pour répondre aux souhaits de l’industrie. En fait, pendant l’élaboration de ces nouvelles lignes directrices, Santé Canada a tenu 21 réunions avec l’industrie, mais seulement trois avec la société civile.

En renonçant à sa responsabilité de garantir la sécurité alimentaire, Santé Canada créerait un précédent d’autorégulation par les entreprises.

Ce type de gouvernance mine la confiance du public et détourne les décisions d’intérêt citoyen en faveur des intérêts commerciaux.

Édition du génome et potentiel d’erreurs

L’édition du génome est une nouvelle façon de modifier le matériel génétique des plantes, des animaux et d’autres organismes en insérant, supprimant ou modifiant une séquence d’ADN à un endroit précis du génome. Mais des modifications précises ne donnent pas nécessairement des résultats précis. Un nombre grandissant de recherches scientifiques montrent que les techniques d’édition du génome, tel que CRISPR, peuvent provoquer des erreurs génétiques et des effets involontaires sur les OGM qui en résultent.

Dans un cas récent, les concepteurs de vaches génétiquement modifiées pour être dépourvues de cornes ont déclaré que ces nouvelles vaches ne contenaient pas de gènes étrangers, insistant sur le fait que la Food and Drug Administration (FDA) américaine n’avait donc pas besoin de réglementer ce nouvel OGM.

Cependant, en 2019, des chercheurs de la FDA ont découvert de l’ADN étranger dans les vaches : deux gènes de résistance aux antibiotiques et diverses autres séquences génétiques provenant de bactéries. L’affaire met en évidence le potentiel d’erreurs dans le processus d’édition du génome et le fait que la surveillance gouvernementale peut trouver des problèmes qu’une entreprise ne détecterait pas elle-même.

Les producteurs d’OGM profitent de l’émergence de nouvelles techniques de génie génétique pour pousser les gouvernements à réduire, et même supprimer, la réglementation. Mais l’histoire nous a montré que lorsque le processus de réglementation est laissé aux mains de l’industrie, il s’ensuit des problèmes. Santé Canada doit prioriser l’intérêt public avant celui de l’industrie de la biotechnologie. Il ne doit pas abandonner la réglementation des nouveaux OGM.

1. Modifié, le documentaire sur les OGM, a été diffusé sur Radio-Canada et a reçu 16 prix, dont celui de la Fondation James Beard pour le meilleur documentaire en 2019.

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