Avez-vous remarqué que Michel Jean, chef d’antenne et auteur innu, ouvre chaque jour le bulletin d’information du midi du côté de TVA avec un « Kuei tout le monde » ? L’initiative, loin d’être banale, se veut une première dans un bulletin d’information francophone. Une telle chose il y a 10 ans aurait peut-être déclenché un tollé alors qu’aujourd’hui, en 2022, M. Jean dit n’avoir reçu que des félicitations, des remerciements et des mots d’encouragement. « J’ai réfléchi à comment les Autochtones pourraient se sentir davantage inclus dans la société et à ce que je pouvais faire, moi, à mon niveau. La réponse m’est apparue évidente », dit-il quand on le questionne sur cette façon originale de commencer son bulletin.

L’année 2022 marque également le début de la décennie internationale des langues autochtones 2022-2032 telle que l’a décrété l’UNESCO. Cette décennie vise à protéger, à perpétuer et à faire revivre ces langues de partout dans le monde.

Il faut savoir qu’il y a près de 4000 langues autochtones sur la planète, dont environ 90 au Canada. Ici, c’est l’inuktitut qui trône au sommet des langues autochtones les plus parlées.

D’autres langues parmi cette courte liste canadienne sont cependant à l’agonie ou déjà disparues. Parfois, elles s’éteignent en deux ou trois générations au sein d’une même famille. Alors, comment s’assure-t-on que toutes ces langues puissent encore résonner à une époque où notre monde semble rapetisser ? Il n’y a pas de recette miracle, mais la première chose se veut sans doute de réaliser collectivement leur importance. En effet, les langues autochtones ne sont pas que des moyens de communication, elles sont porteuses des secrets de la terre et de la nature qui nous entoure, d’une vision du monde et d’une identité qui se cherchent trop souvent une place.

La langue de mes ancêtres, le wendat, ne se parle plus de façon courante depuis le tout début du XXsiècle, voire un peu avant. Un tas de facteurs explique cela : la proximité avec les villes environnantes, l’imposition de l’éducation en langue française, le fait que nous étions plutôt axés vers le commerce, puis le tourisme, et que parler le français se voulait impératif. Pourtant, peu de gens savent que la langue du commerce des fourrures au début de la colonie, ce n’était pas le français, mais le wendat ! Bref, cette belle langue, cousine de la langue kanien’keha (mohawk), a bien passé proche d’être rayée de la carte.

En 2007, ma communauté a signé une alliance de recherche avec l’Université Laval avec comme mission rien de moins que de faire revivre notre langue. Nous savions que la tâche ne serait pas facile.

Certains linguistes nous ont même suggéré d’apprendre la langue mohawk à la place puisque celle-ci était toujours vivante. Seul problème ? Ce n’est pas notre langue. Aujourd’hui en 2022, après de nombreux efforts, le wendat est enseigné à notre école primaire et des cours aux adultes sont également offerts. Alors, comment est-ce qu’on fait pour faire revivre une langue morte ou pour s’assurer qu’une langue survive ? On y met l’effort nécessaire, collectivement. On en fait une priorité. On dépoussière les vieux lexiques et dictionnaires, on fonce, on l’apprend et on la parle. Mais (il y a toujours un mais), faire tout ça demande des années, des tonnes de ressources et, bien évidemment, un financement adéquat.

Or, ce financement n’a jamais été au rendez-vous. En 2006, au moment où je faisais les premières démarches auprès de l’Université Laval, le financement accordé par le gouvernement fédéral pour la langue dans les communautés autochtones était de 2,50 $ par personne. Nous étions 2500 dans ma communauté. Le calcul n’est pas difficile à faire. Il en a été ainsi pendant des années et cela a fait mal. Des dizaines de langues autochtones se sont grandement affaiblies ou sont mortes par manque de ressources et de financement. Selon l’UNESCO, si un grand coup de barre n’est pas donné, 90 % des langues vont probablement disparaître au cours de ce siècle. Et le temps file…

Il y a 10 jours, Aluki Kotierk, représentante inuk au sein d’un groupe de travail de l’UNESCO créé dans le cadre de la décennie internationale des langues autochtones, a demandé que le Canada inscrive l’inuktitut comme l’une des langues nationales officielles du Canada.

En 2019, la Loi sur les langues autochtones a pourtant reçu la sanction royale et un budget annuel de 333,7 millions sur cinq ans a été prévu à cet effet. Je m’en réjouis. Alors pourquoi une telle demande ? Parce qu’au Nunavut, 70 % des habitants parlent l’inuktitut, mais que les services publics fédéraux ne leur sont fournis qu’en anglais ou en français. Parce que la langue d’enseignement s’y veut encore l’anglais. Parce que, selon l’Assemblée des Premières Nations, un financement basé sur les besoins réels des communautés devrait être trois fois plus élevé.

Il faut que les langues autochtones du Canada, celles qu’on a essayé de faire taire pendant des siècles, soient reconnues par tous. Parce qu’il n’y a que de cette manière que les nations autochtones auront les moyens nécessaires réels, financiers et politiques de protéger et de parler leurs langues. Parce que c’est aussi comme ça que nous allons pouvoir nous guérir et raconter nos vérités, avec nos mots.

En marchant dans les sentiers de nos ancêtres, en connaissant la profondeur de nos langues, nous les ferons résonner aussi fort que nos tambours.

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