Depuis le début de la crise de la COVID-19, certains mots incantatoires nous sont martelés par des gens qui veulent notre bien, repris par l’ensemble de la société, voire par notre gouvernement. En tête de ce marketing du confinement viennent SE RÉINVENTER, et la fameuse BIENVEILLANCE.

Nous a-t-on assez bassiné avec ces concepts doudous et tarte aux pommes ? Nous nous sommes tous réinventés, avons fait preuve de bonté et d’empathie, avons adhéré à ces vœux pieux qui forment la base du petit catéchisme du parfait confiné. Tout ce qui nous manque, c’est la fameuse résilience, mais ça doit bien mijoter pour bientôt…

Nous sommes donc neufs et bienveillants. Tout baigne dans la tiède résignation au royaume du Québec quand arrive la saga des influenceurs, un troupeau de cabochons sul party qui défient les règles et le sens commun. Oh, nous avons bien ri, c’était une soupape bienvenue. Mais nous avons tous été choqués et énervés, à juste titre, et durablement, y compris le premier ministre Trudeau. Comment expliquer cette réaction viscérale ? Pourquoi cet épisode vient-il tellement nous chercher ?

Sûrement parce que cet évènement est venu heurter de plein fouet les contours de notre pattern collectif gossé patiemment pendant deux ans : réinvention et bienveillance !

Par leur insolence et leur narcissisme, les influenceurs opposent leur idée de « fun, tu-suite » à notre conformisme appliqué. À première vue, ils incarnent le contraire de ces valeurs que nous avons collectivement déployées pour notre survie depuis 22 mois : party, insouciance, mépris des règles. Leur tonitruante escapade à Tulum est intéressante parce qu’elle confronte ce que nous croyons être. Mais si ce n’était pas si simple ; si ce n’était pas que colons contre raisonnables ?

Ces influenceurs sont nos boucs émissaires, des tout-croches au nombril exacerbé, le pire de nous comme société, certes, mais ils sont un peu nous autres pareil. Notre société les a cultivés, chouchoutés, les médias traditionnels et les réseaux sociaux leur ont donné voix et visibilité. Des entreprises les commanditent. Ils sont parmi nous, nous sommes les produits de la même société, de la même éducation, des mêmes familles. Ils sont nos petits – cousins, voisins, connaissances. Ils sont un peu nous, le nous égoïste, superficiel, le nous pas trop fier. Car quelque part enfoui en nous, nous les raisonnables, les vaccinés, les espérants, la majorité respectueuse, avons aussi une envie lancinante de liberté, de fronde.

Nous ne sommes pas dociles à temps plein, nous prenons parfois nos aises avec la notion de bulle familiale, on l’a vu au jour de l’An, nous éprouvons de la colère face aux mesures contradictoires, avons envie nous aussi de tout-inclus dans le Sud. Nous brûlons de faire un bras d’honneur à cette situation voleuse de vie. En désobéissant, boboches, de manière imbécile, les festifs de Sunwing l’ont fait…

Nous pouvons bien leur lancer la première pierre, rire à juste titre de leurs déboires, il n’empêche qu’ils nous tendent, peut-être, un petit bout de miroir à peine déformant.

(Notons au passage que cet épisode burlesque, inespéré et choquant est de l’or en barre pour le gouvernement. Il permet de détourner l’attention de la population de deux ou trois broutilles qui retroussent, comme, au hasard, le déficit démocratique actuel…)

Mais si les influenceurs sont un peu notre part sombre et inavouable, que révèle cette épopée cheapette pour la suite des choses ? Qu’il va falloir que nous comprenions que nous sommes solides et forts par l’intermédiaire de notre collectivité. En ces temps de profondes et multiples fractures sociales, d’identités atomisées revendiquées rageusement, le défi est lourd. Nous sommes actuellement dans des chambres d’écho, chacun dans son coin, dans sa gang. EUX, NOUS. Quelque chose est cassé, au pays du Québec. Il faudra redresser, recoller cet ensemble en lui redonnant des fondations plus solides, de la cohérence. Ça passera par une conception revue de l’éducation, par des médias exigeants et responsables, par un tronc commun de valeurs pour que notre collectivité s’aime et se reconnaisse dans toutes ses différences mais se cimente. Il faudra surtout s’adresser à nous non pas en simplifiant à l’excès, mais avec respect, transparence, intelligence.

Car ces deux ans de COVID-19 ont exacerbé des tensions, et la virée mexicaine d’une poignée d’influenceurs en est le plus récent avatar rocambolesque. Et gageons que ce ne sera pas le dernier ; nos nerfs à tous étant à fleur de peau. Essayons de nous « réinventer » plus matures, et soyons juste un peu plus « bienveillants » envers notre part la plus discutable. Et peut-être que 2022 sera le début de quelque chose de plus inspirant.

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