Endormi quelque part au creux de la tourmente, il y a l’espoir. Une petite flamme qui jamais ne s’éteint, même si dans les tempêtes les plus robustes, elle est réduite à un minuscule tison. Même si on ne le voit plus, même s’il est enfoui trop profondément pour qu’on puisse même savoir qu’il est là, ce petit tison se bat contre la tempête intérieure pour rester en vie.

Mais il serait faux de croire qu’un simple petit souffle en sa direction suffira à le rallumer une bonne fois pour toutes. Pour que la flamme de l’espoir reprenne sa danse, il faudra lui donner des soins et une attention soutenue pendant quelque temps. Travailler avec les éléments de la tempête, les calmer, les éloigner de la petite flamme afin qu’elle brille en toute sécurité. Ce n’est pas l’œuvre d’une seule journée. Ni d’un seul rendez-vous.

C’est l’œuvre d’un traitement soutenu qui s’intéresse aux angles bio-psycho-sociaux des troubles de santé mentale.

Qui regardera avec le patient quels sont les facteurs précipitants, les éléments déclencheurs qui ont provoqué la douleur, la détresse. La pandémie est bourrée de facteurs précipitants : incertitude financière, anxiété, ne jamais savoir sur quel pied danser, isolement, solitude, perte de contacts sociaux, de nos habitudes de vie, télétravail, et chez nos adolescents, la sensation de voir notre jeunesse nous filer sous les doigts, entre autres. Outre la pandémie, un deuil, une rupture, une perte d’emploi, un sentiment d’échec face à un projet constituent tout autant de facteurs précipitants. Chacun d’entre nous réagit différemment à ces situations. C’est là que les facteurs prédisposants et que les facteurs de protection entrent en jeu.

Les facteurs prédisposants peuvent être faits de schémas de pensée et de distorsions cognitives qui agissent comme des terrains glissants ou des sables mouvants, et qui ont été tissés durant l’enfance, durant l’adolescence, au gré des évènements de la vie et des coups durs. Ça peut être le fait d’avoir une situation de vie précaire, d’avoir déjà connu la dépression, l’anxiété, ou bien au contraire de n’avoir jamais connu la dépression ni l’anxiété et de se retrouver face à face avec la douleur psychique pour la première fois sans réellement être capable de mettre des mots sur celle-ci. Ça peut être un environnement familial ou un milieu de vie instable, présent ou passé, des antécédents familiaux, des traumas vécus dans le passé qui se réveillent sous le coup des circonstances. Et certains facteurs prédisposants tirent aussi une partie de leurs racines de la génétique, de la physiologie du cerveau, de l’épigénétique, de la neuroplasticité…

Les facteurs de protection jouent un grand rôle sur la direction que prendra l’évolution de la détresse psychologique et d’un trouble de santé mentale.

Le soutien personnel, l’accès aux ressources, un suivi, un traitement adapté de la durée nécessaire, une modification de l’environnement de vie, la compréhension de ce que l’on traverse intérieurement, la validation de ce que l’on vit, le développement d’outils de régulation émotionnelle et d’autogestion, une communauté ouverte et sans préjugés font partie de ces facteurs. Et en misant sur ceux-ci, tant à l’enfance qu’à l’âge adulte, les risques s’amenuisent et promettent une vie meilleure, une vie où la douleur psychologique, lorsqu’elle se pointe à la porte, n’est plus une condamnation, mais plutôt un signal d’alarme qu’il est temps de mettre en place un plan d’action.

Or, une simple visite aux urgences, une seule séance avec un psychologue ou deux rencontres avec un médecin de famille ne sont pas suffisants pour faire disparaître le spectre de la détresse psychologique chez un individu. Surtout pas si celle-ci est la pointe visible d’un trouble de santé mentale grave comme la dépression majeure ou un trouble bipolaire, par exemple. Ni si cette détresse tient entre ses filets des comorbidités comme une anxiété sévère ou un trouble d’usage des substances.

Que faire quand on ne se reconnaît plus ?

La complexité de la maladie est bien réelle et est multidimensionnelle. Le traitement doit être adapté à ces dimensions et doit suivre les fluctuations de la maladie. On entend bien souvent dire : « Si ça ne va pas, n’hésite pas à aller chercher de l’aide. » Mais où la trouver cette aide, s’il n’existe aucune ressource disponible avant des mois et si l’individu qui souffre ne sait pas de quelle ressource il a besoin ? Quand on se casse un bras, on sait quoi faire. Quand on a une pneumonie, on sait où aller. Mais quand on ne se reconnaît plus ? Quand on ne se comprend plus et qu’on n’a pas les mots pour expliquer ce que l’on ressent parce qu’on ne nous les a jamais enseignés ? Quand on a peur d’en parler à cause des siècles de stigmatisation qui nous précèdent ? Quand on n’a personne pour nous accompagner ? Quand on s’isole de plus en plus à cause des symptômes de la maladie ? Quand on perd contact avec la réalité ? Quand notre anhédonie est si forte que même ce qui autrefois était notre plus grand plaisir ne nous fait plus ni chaud ni froid ? Quand notre perte de motivation (un symptôme de la dépression) ne nous permet même plus de nous lever du lit ? Quand nos fonctions cognitives sont si affectées qu’on arrive à peine à lire trois phrases ? Quand la flamme de l’espoir est si proche d’être éteinte qu’on se dit que ça ne vaut même pas la peine d’essayer de trouver de l’aide ? Parce qu’on sait bien que trouver de l’aide immédiate puis avoir un suivi soutenu, c’est un des plus grands défis de notre ère.

Monsieur Legault, la situation est plus qu’urgente. Il faut, par tous les moyens, rendre accessible l’aide psychologique à court, moyen et long termes. Et en simplifier l’accès. Les gens qui souffrent ne savent plus vers qui ou quoi se tourner, leurs familles en souffrent, leur vie professionnelle aussi, et les dommages collatéraux sont énormes. Tant pour eux que pour la santé de votre société et pour celle de votre économie (je n’aime pas parler en ces termes, c’est l’humain qui prime, mais apparemment, c’est l’économie qui a le dessus sur les décisions…).

La vie est précieuse. C’est tout ce qu’on a. Se retrouver au bord du gouffre n’est jamais un choix. Ce n’est pas pour cesser de vivre que l’on souhaite partir, c’est pour cesser de souffrir. C’est la maladie qui crie, reléguant l’esprit au second rôle. Personne n’est sa maladie.

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