En ces temps de confinement, Netflix fournit bien peu de contenu intéressant à mon goût. Pas grave, parce que l’actualité produit tout un spectacle.

Les vacances de ces voyageurs à bord de Sunwing, organisées par un individu aux comportements qui frisent la fraude, sont les meilleures vacances qui n’auront, en quelque sorte, jamais eu lieu. Ceci semble être une version québécoise du Fyre Festival, comme l’ont souligné plusieurs internautes.

J’ai bien ri de ce scandale alimenté par OD Scoop. Mais d’un rire nerveux, parce qu’il semble s’inscrire dans le grand théâtre du déclin possible de notre civilisation. Comme si le film Don’t Look Up était un documentaire et une prophétie en même temps.

Justin Trudeau ne croyait pas si bien dire en utilisant le mot « Ostrogoths » pour désigner les fêtards au comportement dégénéré. Je ne dis pas ça en raison de l’analogie à la barbarie. Voyez-vous, les Ostrogoths font partie de ces peuples ayant littéralement participé à la chute de la civilisation romaine, à l’époque de l’empire.

Le terme est donc éloquent. Ces « zin-flu-ranceurs⁠1 », qui incarnent un individualisme déséquilibré, ont peu en commun avec les peuples gothiques, mais signalent peut-être, eux aussi, la déchéance d’une société. L’analogie s’arrête là. Elle invite toutefois à une sérieuse réflexion sur notre avenir collectif.

La montée en force des réseaux sociaux des 15 dernières années, tout en favorisant des connexions impossibles sans les technologies, a surtout servi à nous engluer dans une société de consommation amputée de sa solidarité.

D’ailleurs, ne vous ont-elles pas fait sourire, ces compagnies aériennes qui investissent depuis des années des millions de dollars en marketing d’influence, et qui aujourd’hui font un spectacle de boucane en bannissant quelques zinfluranceurs de leurs vols ? Où était le sens de la citoyenneté d’Air Canada quand, l’an dernier, l’entreprise faisait justement appel au marketing d’influence pour promouvoir des destinations soleil en pleine deuxième vague de COVID-19, contrairement aux recommandations du gouvernement fédéral ?

L’esprit de citoyenneté est en mauvais état, mais pas seulement chez Air Canada. Dans les dernières années, nos pouvoirs politiques ont à mon avis fait bien peu pour favoriser au sein de nos populations un sens du commun. Cela se reflète entre autres dans la faible participation électorale des jeunes. Et au-delà du vote, soulignons que nous avons assisté au saccage de plusieurs espaces de participation citoyenne. L’austérité du précédent gouvernement libéral ayant frappé de plein fouet les forums jeunesse en est un exemple patent.

L’Institut du Nouveau Monde constatait dans un mémoire datant de 2019 que les jeunes, quoique intéressés aux affaires publiques, entretiennent un sentiment d’incompréhension et d’impuissance face au système politique.

Et le cocktail du déclin ne goûte pas très bon si, en plus de tout ce qui précède, les élus multiplient les décisions qui, aux yeux de la population, sont opaques et incohérentes.

Malheureusement, plusieurs mesures gouvernementales récemment imposées dans le cadre de la gestion de la pandémie comportent justement de telles lacunes. Il suffit de prendre en exemple l’imposition du couvre-feu, mesure dont la légitimité est sérieusement remise en question par nombre d’experts.

Or, la cohérence d’une société se perd notamment lorsque les individus qui la composent, en plus de se sentir impuissants, perdent la confiance envers la légitimité des règles, particulièrement celles dictées par les pouvoirs politiques en place. De là l’importance d’établir des règles acceptables et justifiables, d’autant que si la désinformation se mêle à la perte de confiance, de sérieuses crises peuvent en résulter.

À preuve, au moment où j’écris ces lignes, nous sommes un an jour pour jour après l’insurrection du Capitole de Washington. Je me garde donc de tenir pour acquise notre démocratie, qui mérite que sur tous les plans de notre société, nous encouragions le sens de la collectivité.

⁠1 « Zin » est un terme créole pour désigner un potin. « Ranceur » est un terme inspiré du créole pour désigner une personne qui n’est pas fiable. « Flu », c’est la maladie, en anglais.

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