Au moment de la première vague de COVID-19, le gouvernement Legault justifiait l’imposition de mesures sévères de santé publique par la nécessité de « protéger nos aînés qui ont bâti le Québec ». Aujourd’hui, on demande aux Québécois de faire des sacrifices pour « protéger le système de santé ». Un système qui, apparemment, est à bout de ressources et d’énergie.

Dans son plus récent texte dans La Presse1, Marie-France Bazzo suggère à raison une réflexion globale « sur la manière dont le système de santé gère le Québec » : « C’est le nombre de lits disponibles qui dicte ultimement le nombre de personnes qui peuvent se réunir autour d’une dinde, ce que nous ferons, s’il y aura couvre-feu, quelle entreprise devra fermer. »

Comment se fait-il, en effet, que notre système de santé soit fragile au point où l’ajout de quelques centaines de malades de la COVID-19 nous mène au bord du gouffre ?

De deux choses l’une : ou bien ce réseau manque de ressources, ou bien ces ressources sont mal gérées.

Je ne possède pas l’expertise pour trancher entre ces deux hypothèses. Mais je m’étonne, quand j’étudie les statistiques, d’entendre parler de pénurie d’argent ou de personnel.

Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, en 2011, donc il y a 10 ans, le gouvernement du Québec investissait 29,7 milliards de dollars pour faire fonctionner le système de santé de la province. En 2019, ce chiffre était passé à 42 milliards, une augmentation de plus de 12 milliards (42 %).

Oui, il y a eu les années dites d’« austérité » sous le gouvernement Couillard (2014 à 2018). Au cours de ces cinq années, les dépenses de Québec en santé ont augmenté (pas diminué !) en moyenne de 4,7 % par année.

Pénuries de personnel ? Voyons voir. Selon le Collège des médecins, le Québec compte aujourd’hui 22 150 médecins actifs. En 2011, ce nombre se situait à 18 924. On compte donc 3226 médecins de plus qu’il y a 10 ans, une hausse de 17 %. Selon l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, il y a cette année 78 240 infirmières à l’œuvre dans le réseau de la santé, 6000 de plus qu’il y a 10 ans.

Bien sûr, la population du Québec est aussi en croissance, mais cette croissance est bien plus lente que celle des budgets et du personnel.

La question fondamentale

Tous ces chiffres nous ramènent à la question fondamentale : compte tenu de la forte augmentation des dépenses et du nombre de soignants, pourquoi le système de santé est-il si fragile qu’une hausse de quelques dizaines de patients souffrant de la COVID-19 provoque une panique digne des dernières minutes du naufrage du Titanic ? Une des réponses vient sûrement du fait que si la population de la province dans son ensemble n’a pas beaucoup crû, le nombre de personnes âgées, lui, a augmenté fortement (+ 39 % au cours des 10 dernières années). Or, qui dit personnes âgées dit demande accrue de soins.

Est-ce la seule réponse à l’énigme ?

Quand une catastrophe survient au Québec, la Sécurité civile met en œuvre un plan préparé de longue date, et les choses tournent rondement. Pourquoi le ministère de la Santé n’est-il pas en mesure de faire la même chose ?

Certes, par son ampleur et sa durée, cette pandémie est sans précédent récent – je souligne récent –, mais n’était-il pas probable qu’un jour, une pandémie se produise et engorge les hôpitaux ? Pourquoi, malgré l’évidente compétence du premier ministre et de son ministre de la Santé, n’a-t-on pas l’impression que les plans d’urgence sont mis en œuvre de façon préparée et cohérente ? Pourquoi faut-il supplier les Québécois de protéger un système qui devrait les protéger, eux ?

Une fois la pandémie derrière nous, le gouvernement doit instaurer une commission d’enquête dont le mandat ne sera pas de chercher des coupables, mais de mener une réflexion de fond sur la gestion du système de santé. Le Québec n’a pas les moyens de dépenser plus en santé. Il nous faut donc faire les choses autrement. Mieux.

1 Lisez le texte de Marie-France Bazzo Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion