L’entente récente visant 60 000 syndiqués de la FTQ dans le secteur public (santé-éducation) représente un développement intéressant qui fait suite à l’accord de principe intervenu antérieurement avec les enseignants regroupés à la Centrale des syndicats du Québec. Nous voilà dans une négociation ciblée qui envoie aux oubliettes toute idée de front commun syndical.

À racler une réticence syndicale à la fois, François Legault espère faire le tour du jardin avant la fin de l’été et récolter avant la froidure automnale. À ce jour, les ententes intervenues se situent a priori dans le cadre de la politique gouvernementale qui autorise une majoration salariale autour de 2 % pour l’ensemble des employés de l’État.

Comment cette valorisation financière est-elle allouée ? La progression salariale n’est plus linéarisée. Par exemple, les salaires au bas des échelles de rémunération sont augmentés davantage que ceux des échelons supérieurs. En outre, comptant sur le volontariat, le gouvernement remplace des départs d’effectifs en pénurie en allongeant les horaires du travail à temps partiel. Il « déprécarise » également des emplois occasionnels en leur attribuant un horaire de travail prévisible. Cela facilite une meilleure prise en charge des besoins familiaux de plusieurs employés, qu’il s’agisse de leurs jeunes enfants ou de leurs parents vieillissants. Sur le plan budgétaire, cette opération de réorganisation du travail s’effectue normalement sans coût additionnel.

Cette négociation multisectorielle se comprend sous l’angle de cinq stratégies :

Sur le plan politique, le gouvernement entend conserver sa cote favorable dans l’opinion publique. Par ailleurs, l’histoire aidant, les syndicats sont conscients que l’approbation de la population ne serait pas gagnée d’avance si des grèves perturbaient le service public. Du moins, ce serait un pari risqué.

Sur le plan argumentatif, le gouvernement plaide l’éventualité d’un mur budgétaire. Les dirigeants syndicaux comprennent par ailleurs qu’une valorisation salariale de 2 % est peut-être optimale dans le contexte actuel.

En effet, chaque point de pourcentage représente une dépense colossale dans un État qui jongle déjà avec une dette cumulée de 200 milliards.

Sur le plan informationnel, les deux parties courtisent l’opinion publique avec leurs enjeux respectifs. Mais cela ne fonctionne pas. Car la vaste majorité des citoyens qui ne travaillent pas dans la fonction publique ne s’y voient pas concernés.

Un seul dossier à gérer

Sur le plan relationnel, la pandémie a ramené le gouvernement à la gestion d’un seul dossier, celui d’une crise. C’est la règle de l’État sauveteur, d’un virus persécuteur, des Québécois victimes. Par conséquent, le gouvernement n’a pas révélé de difficultés de gestion puisqu’il n’a pas vraiment géré ; la pandémie captant tout comme un trou noir. Un seul dossier lui a fait perdre des plumes, c’est celui du projet de tunnel Québec-Lévis. Donc, la qualité des relations entre le gouvernement et les citoyens n’a pas vraiment été endommagée, ce qui n’aurait probablement pas été le cas si le gouvernement avait eu à gouverner dans la normalité.

Par ailleurs, le fait que les échanges entre les négociateurs gouvernementaux et patronaux se situent essentiellement en ligne, ou dans un cadre distancé, les invite à passer promptement à autre chose. Habituellement, les acteurs sociaux se retrouvent dans des établissements hôteliers avec leurs équipes respectives, motivant leurs attentes respectives d’une agape à l’autre, le bon vin aidant. En clair, les gens veulent sortir d’un cadre relationnel contraint qui, en soi, favorise une perspective d’entente.

Sur le plan temporel, François Legault veut placer cette négociation derrière lui afin de mieux investir dans la préparation d’une campagne électorale qui approche à grands pas.

Avant l’arrêt Saskatchewan de la Cour suprême, en 2015, qui érige l’exercice de la grève en droit fondamental, le gouvernement était plutôt attentiste. Il laissait monter la pression vers la population. Dès que l’opinion publique manifestait de l’impatience à l’endroit des conséquences des grèves, il en profitait pour récupérer du capital politique en promulguant une loi spéciale pour établir les conditions de travail. Toutefois, cette stratégie n’est plus possible.

Mais tout n’est pas réglé ! Outre d’autres groupes élargis de syndiqués, les infirmières n’ont pas dit leur dernier mot. Invoquant la lourdeur graduelle de la clientèle, elles veulent modifier l’organisation du travail, réduire les charges de travail et augmenter les salaires afin d’améliorer l’attractivité du métier. Leur démarche, à l’instar des autres catégories professionnelles, sont véhiculées dans une société surtaxée, dont le gouvernement, par le passé, n’a pas hésité à faire des coupes budgétaires afin de protéger la cote du Québec sur les marchés financiers. Par exemple, en 1982, les régimes de retraite ont été désindexés et une réduction salariale imposée. Entre les demandes syndicales et l’assainissement des finances publiques, l’État restera toujours coincé entre ses rôles contradictoires d’employeur et de législateur. Cette condition glaciale transcende les négociations collectives dans le secteur public.

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