Le divertissement offert par l’entremise du sport est-il l’opium du peuple ?

Je me souviens très bien du miracle de 1993. Le Canadien tirait de l’arrière 0-2 contre les Nordiques. Les carottes semblaient cuites. Jusqu’à ce que l’odeur de la Coupe se fasse sentir. L’épique remontée du Canadien. Goodbye Québec. Puis les Sabres et les Islanders. En dernier lieu, l’ultime épreuve en Wayne Gretzky et les Kings. Le bâton illégal de Marty McSorley. Le clin d’œil de Patrick Roy au coéquipier de Luc Robitaille. Et la Coupe Stanley enfin de retour à Montréal !

J’avais 8 ans lorsque cette croisade est survenue, et je me souviens de tous ces détails sur le bout de mes doigts. Notre société a un devoir de mémoire face aux évènements marquants de notre Histoire, n’est-ce pas ? À vrai dire, ce devoir semble se manifester à géométrie variable, parce que je n’ai aucun souvenir d’enfance ou d’adolescence d’avoir été informé du génocide culturel (et du génocide tout court) à l’endroit des peuples autochtones par le biais des pensionnats instaurés par le gouvernement fédéral. Et une partie importante de la population québécoise partage mon expérience.

Le sport de divertissement ne pourrait-il pas servir de vecteur d’éducation populaire ?

Bien sûr, il n’appartient pas au sport de combler toutes les lacunes de notre inéducation. Je songe toutefois au fait que le sport, malgré son potentiel d’influence, agit parfois comme frein à la mobilisation populaire en regard d’enjeux sociaux qui devraient nous interpeller.

Panem et circenses, comme on disait à l’époque de la Rome antique. Du pain et des jeux, de quoi ne plus se soucier des affaires de société. Or, l’effet somnifère du pain et des jeux ne s’est certainement pas arrêté à l’Antiquité.

D’ailleurs, plusieurs commentateurs ont eu raison d’affirmer que les soulèvements donnant suite au meurtre de George Floyd dès mai 2020 furent largement attribuables à l’arrêt des activités de divertissement, dont le sport professionnel au premier titre. À défaut de porter nos regards sur les résultats des séries éliminatoires de la LNH ou de la NBA, nos esprits ont pu mesurer avec une plus grande acuité la sévérité de certains défis qui se présentent à nos vies individuelles et collectives.

PHOTO NATHAN DENETTE, LA PRESSE CANADIENNE

Moment de recueillement à la mémoire des 215 enfants dont les dépouilles ont été retrouvées à Kamloops, avant le match du Canadien et des Maple Leafs, le 31 mai.

Notre participation citoyenne serait-elle plus active sans l’omniprésence du sport professionnel dans notre quotidien ? C’est la question qui m’habitait à la fin du septième match de la série opposant le Canadien et les Maple Leafs de Toronto. Tout en me réjouissant de la victoire du CH, j’étais attristé par la nouvelle de la découverte des restes de 215 enfants sur le site de l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique.

Dans de telles circonstances, les célébrations de performances sportives peuvent avoir pour effet de nous distraire, d’apaiser notre indignation et de contrecarrer les mouvements qui auraient pu autrement naître à la suite de la découverte d’un drame national d’une telle gravité. Je crois que l’inverse est aussi possible, et c’est ce que je souhaite.

Compte tenu des passions que soulève le sport professionnel, de l’attention qu’il attire et de la valeur qu’on lui attribue, les athlètes et équipes de cette industrie ont le pouvoir de contribuer significativement à la sensibilisation des populations en regard d’enjeux sociaux.

Et ce printemps, la Ligue nationale de hockey et les équipes canadiennes qui la composent ont une occasion de contribuer au processus de vérité et de réconciliation avec les peuples autochtones.

À ce sujet, le Canadien de Montréal, les Maple Leafs de Toronto et la LNH ont bien fait, tant par des déclarations écrites que lors de l’avant-match de lundi, de rendre hommage aux personnes et communautés autochtones au premier chef marquées par la tragique découverte à Kamloops. Un minimum de décence commandait de tels gestes.

Sur Facebook, la comédienne et poète innue Natasha Kanapé Fontaine a également souligné que Carey Price est issu de la communauté d’Anahim Lake, de l’Ulkatcho First Nation, en Colombie-Britannique. À ce titre, elle remarquait que par ses performances, Carey Price faisait la démonstration de la force et de la fierté des communautés autochtones. Elle a bien raison. Les performances sportives, à elles seules, constituent une source d’inspiration qui peut contribuer au sentiment de bien-être d’une collectivité.

Il n’en demeure pas moins que la présente conjoncture est favorable à ce que les athlètes et équipes sportives expriment une volonté de progrès de façon plus explicite et proactive. En 2020, de nombreux joueurs de la NBA ont contribué à ce que leurs équipes, leur ligue et les acteurs et actrices d’autres ligues exercent une influence de poids en faveur du mouvement Black Lives Matter.

Les athlètes et équipes de la LNH sont d’ordinaire plus conservateurs que leurs homologues de la NBA. Cela dit, en contexte canadien, l’influence d’équipes comme la Sainte-Flanelle est puissante. À l’aube de la série entre les Jets et le Canadien, le hockey sera-t-il simplement un divertissement ? Ou un levier vers une plus grande solidarité en faveur des communautés autochtones ?

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