Le 24 mai dernier, deux journalistes de La Presse ont posé un constat important : quand il est question du français au Québec, la piètre qualité du français écrit des jeunes depuis le secondaire jusqu’à l’université passe sous le radar*. Ces journalistes demandaient : à qui la faute ? Ex-enseignante de français au secondaire, puis spécialiste de l’enseignement et de l’apprentissage du français à l’école (didactique du français) depuis 35 ans, je demanderais plutôt : qui en est responsable ?

30 ans d’irresponsabilité politique

Trois examens de certification en français écrit existent depuis la fin des années 1980. Le premier est l’épreuve obligatoire de français écrit de 5e secondaire, nécessaire pour obtenir le diplôme d’études secondaires (DES). Le deuxième est l’épreuve uniforme de français, pour obtenir le diplôme d’études collégiales (DEC). Le troisième est le Test de certification en français écrit pour l’enseignement (TECFEE) que tous les futurs enseignantes et enseignants du préscolaire, du primaire et du secondaire doivent réussir pour obtenir le Brevet d’enseignement, délivré par le ministère de l’Éducation (MEQ), qui est responsable des deux premières épreuves.

Alors qu’il est responsable des conditions d’obtention du Brevet d’enseignement, le MEQ a préféré confier la responsabilité du TECFEE aux universités.

Devant l’échec massif des candidates et candidats à l’enseignement à la première passation de ce test, les doyens des facultés d’éducation se sont mis d’accord pour qu’il puisse être passé autant de fois que nécessaire jusqu’à la réussite !

Combien de fois, mon père ? Autant de fois que nécessaire !

Contrairement à ce qu’on a pu lire, ce test n’est pas « moyennement difficile ». Peut-on sérieusement affirmer que trouver l’erreur dans « le livre que je te parle » ou indiquer le sens du mot « occurrence » dans une liste de sens possibles soit difficile, après 17 années de scolarisation en français ? Bien que la teneur de ce test soit officiellement non accessible, j’ai suffisamment d’indices pour affirmer qu’il ne constitue que le minimum acceptable pour les futurs responsables des apprentissages de la langue orale et écrite au cours de la scolarité obligatoire. Car, comme se plaît à l’écrire le MEQ, la qualité de la langue est la responsabilité de tout le corps enseignant, pas seulement des professeurs de français…

Deux examens passoires

Revenons aux examens de fin du secondaire et du collégial, que je n’hésite pas une seconde à qualifier de passoires. J’ai étudié celui du secondaire depuis 1986 (j’étais alors enseignante de français au secondaire) jusqu’en 2008 (comme professeure de didactique du français) et n’ai cessé de dénoncer publiquement cet examen dont la réussite ne témoigne ni de compétences argumentatives acceptables (il faut produire un texte d’opinion) ni de la qualité attendue de la langue écrite (vocabulaire, syntaxe, ponctuation et orthographe). Les élèves obtiennent très facilement la note de passage, car 50 % des points sont accordés à la structure du texte et au respect de la consigne. Or, durant des mois, cette partie de l’épreuve a fait l’objet d’un intense bachotage enlevant de temps aux apprentissages fondamentaux. Quant à la partie sur la langue, le barème de correction n’a cessé d’assouplir les exigences.

Donc, on peut réussir cet examen en étant analphabète fonctionnel. Ne me dites pas que j’exagère, ce n’est malheureusement que trop vrai. Je mets au défi la personne responsable de cet examen au MEQ de me contredire, informations chiffrées à l’appui.

Si les titulaires du DES ont des compétences suffisantes en français, pourquoi alors les centres d’aide au français des collèges de la province débordent-ils de diplômés du secondaire ?

Et je pourrais dire à peu près la même chose de l’Épreuve uniforme de français du collégial. Dans la plupart des programmes universitaires, des diplômés du collégial peuplent les centres d’aide des universités. Cela est connu, mais peu rendu public, chaque institution se protégeant et le ministère de l’Éducation préférant augmenter le nombre de diplômés que de veiller à assurer une maîtrise suffisante du français écrit pour tous.

C’est non seulement irresponsable, mais suicidaire pour la langue et la culture françaises au Québec. Ce n’est ni l’instruction ni le développement culturel des jeunes qui préoccupent le MEQ au premier chef, mais la diplomation, d’où le mantra de la réussite scolaire.

Comment ne pas sursauter quand le premier ministre du Québec affirme qu’il est bien que les élèves terminant le secondaire fréquentent des cégeps anglophones, car ainsi ils maîtriseront mieux l’anglais ? Certes, en deux ans, ils réussiront à « maîtriser » l’anglais, alors qu’ils n’ont pas atteint cette dite maîtrise du français en 11 ans !

Attention, je ne dis pas que l’enseignement du français au cours de la scolarité obligatoire est parfait, ni que tous les enseignants le sont, ni qu’on soit suffisamment exigeant, mais tant que la sanction de cet enseignement sera aussi laxiste, il n’y aura pas d’améliorations notoires.

Je persiste et signe, la responsabilité incombe au gouvernement du Québec et au premier chef au ministre de l’Éducation, M. Roberge, et au ministre responsable de la langue, M. Jolin-Barrette. Nous sommes des milliers de Québécoises et Québécois à exiger qu’ils se réveillent, car il est minuit moins dix.

*LISEZ Le français écrit compte-t-il encore ?

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion