La question s’est posée récemment dans La Presse+, à la lumière d’une lettre d’opinion de notre collègue et ami Jean Leclair*, de savoir dans quelle mesure des droits collectifs peuvent l’emporter sur des droits individuels. La thèse du professeur Leclair veut essentiellement que lorsque l’État québécois limite les droits des citoyens, c’est par son pouvoir de contrainte qu’il le fait et non en tant que mandataire de droits collectifs présumément détenus par une nation.

Dans le monde du droit se trouvent même certains juristes qui nient l’existence des droits collectifs. C’est là oublier quelle est la nature des droits des autochtones. C’est là ignorer également l’article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui énonce le principe de l’égalité des communautés française et anglaise du Nouveau-Brunswick et leur droit à des établissements d’enseignement et des institutions culturelles distincts.

Du reste, il n’existe pas de droits ou de libertés qui soient absolus. Par exemple, la liberté d’expression comporte tacitement l’interdiction de tenir des propos haineux. Quant à elle, la liberté de réunion doit être exercée pacifiquement.

L’article 1 de la Charte canadienne prévoit précisément la possibilité que des droits et libertés soient restreints dans la mesure où cela est accompli par une règle de droit qui soit à la fois raisonnable et justifiable dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Cette disposition permet donc notamment la prise en compte par les tribunaux de l’environnement propre à chaque province canadienne. Elle permet de surcroît aux instances législatives et gouvernementales d’échapper un tant soit peu au formalisme de la Constitution et d’éviter la sanction judiciaire de l’inconstitutionnalité.

La judiciarisation de la politique

Nous vivons présentement dans une ère marquée par une très forte judiciarisation de notre système politique. Des juges, qui sont non élus et qui ne sont pas tenus de rendre compte de leurs décisions, déclarent invalides des lois et d’autres normes juridiques en se fondant sur des principes d’interprétation constitutionnelle somme toute élastiques.

Ils instillent habilement dans l’ensemble du droit, et plus particulièrement dans les concepts nébuleux de la Constitution, leurs propres idées, leur idéologie, leurs opinions sur des enjeux hautement moraux et philosophiques.

On aurait tort de croire que le contrôle de la constitutionnalité ne s’appuie que sur des considérations juridiques et que la justice constitutionnelle n’ait aucun caractère politique. Au contraire, les tribunaux canadiens hésitent peu à intervenir sur des questions de nature politique. Par ailleurs, il est clair que certaines décisions de la Cour suprême – parmi les plus importantes – ont autant une connotation politique qu’une portée juridique.

Rétablir l’équilibre

Dans ce contexte, il est sain que le dernier mot appartienne parfois au législateur plutôt qu’aux cours de justice. C’est une question d’équilibre entre le pouvoir judiciaire d’une part et le pouvoir législatif ou exécutif d’autre part. Le pouvoir dérogatoire (communément appelé « clause nonobstant ») existe précisément pour rétablir cet équilibre lorsque le besoin s’en fait sentir le plus nettement. La légitimité et l’utilité de ce pouvoir nous semblent aller de soi.

Le législateur doit disposer de la capacité de poser et même d’imposer ce que nous appellerons ici des choix collectifs. C’est là sa vocation et sa fonction et les cours de justice ne doivent pas usurper ces dernières.

Elles doivent plutôt contribuer elles aussi au maintien d’un certain nombre d’objectifs collectifs. Les interventions judiciaires doivent poursuivre certains idéaux sociétaux, tout en assurant un équilibre adéquat entre l’intérêt public et les droits individuels. Le défi des tribunaux est aussi de parvenir à un équilibre satisfaisant entre le contrôle judiciaire et le processus démocratique. Il s’agit alors essentiellement de concilier les fondements de la justice constitutionnelle avec les principes qui sont liés à la démocratie.

La tentation bien naturelle de porter aux nues les droits et libertés individuels sous-estime, consciemment ou non, l’importance manifeste pour des collectivités entières de s’affirmer dans ce qu’elles sont et pour ce qu’elles sont, sur des questions qui leur sont essentielles sinon existentielles, comme c’est le cas pour la Loi sur la laïcité de l’État ou le projet de loi n° 96 en matière de langue. Cela nous paraît encore plus opportun lorsque la majorité constitue dans les faits une minorité dans l’ensemble dont elle fait partie. C’est le sort et le destin des Québécois – de toute origine, langue, religion, etc. – dans l’ensemble canadien.

Lisez « Droits collectifs et nation québécoise » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion