Je pense beaucoup à Robert Bourassa ces jours-ci. J’ai en tête sa grande déclaration faite aux lendemains de l’échec de l’accord du lac Meech. Il avait déclaré le 22 juin 1990 à l’Assemblée nationale : « Le Canada anglais doit comprendre de façon très claire que, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement. »

On a beaucoup dit de lui qu’il jouait sur tous les tableaux quand venait le temps de parler du statut du Québec. C’est vrai. Mais une chose est certaine, il a toujours milité pour que le Québec soit reconnu comme société distincte. C’était le fil conducteur de sa vision.

Je l’imagine, lisant les dispositions du projet de loi 96 qui enchâssent le statut du Québec comme nation francophone dans la Constitution de 1867. Je me dis qu’il aurait souri, ce sourire qui lui était propre, celui du chat qui a mangé la souris.

Alors pourquoi Robert Bourassa n’a pas lui-même eu recours à l’article 45 de la Constitution de 1982 pour modifier la Constitution du Québec incluse dans celle de 1867 et ainsi s’affirmer ? C’est une excellente question que m’a posée Patrick Masbourian dans le cadre de ma chronique à Tout un matin sur les ondes de la première chaîne de Radio-Canada.

Évidemment, il est difficile d’y répondre sans faire parler les morts. Mais je risque une piste, celle de dire que nous n’avons pas le même état d’esprit à l’heure actuelle qu’au moment de l’échec de Meech. La dynamique a changé. Le Québec a changé. L’attente du grand soir de la reconnaissance du reste du Canada ou de l’indépendance n’est plus une priorité.

Les Québécois ne sont plus dans la dynamique de demander. Ils font ce qu’ils jugent opportun. Sans compter que le Québec est reconnu comme nation depuis 2006, moment où le Parlement canadien a adopté une motion en ce sens.

D’ailleurs, il faut rappeler qu’à cette époque, la levée de boucliers attendue du ROC (Rest of Canada) ne s’était pas produite. Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement du Québec songe à lui-même s’affirmer sans attendre les autres.

Le Canada aussi a changé. L’appui de Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta, l’illustre bien. Il a dit être en admiration devant l’aplomb du Québec d’amender la Constitution pour s’y inscrire comme nation. Dans une entrevue au Calgary Herald, il a affirmé : « J’ai toujours dit que l’Alberta devrait imiter le Québec dans la manière qu’il défend ses intérêts. » La politique autonomiste du Québec pourrait donc faire des petits à l’échelle canadienne.

Le regard de Justin Trudeau aussi a changé. Il est vrai que nous sommes à la veille d’élections potentielles… Mais n’empêche que les juristes du ministère de la Justice à Ottawa considèrent aussi comme légitime la façon de faire du Québec. Notons que sur le plan politique, cette modification constitutionnelle fait aussi consensus parmi les chefs des partis fédéraux.

Il reste que certaines choses ne changent pas. Une partie des chroniqueurs politiques du Canada anglais s’excitent depuis quelques jours. Ils reprochent au Québec d’utiliser une approche fort audacieuse pour affirmer constitutionnellement ce qui constitue pourtant des évidences sociologiques et historiques. Comme le reconnaissait le Parlement canadien en 2006, les Québécois forment une nation. Tel que l’affirmaient il y plus de 40 ans la loi 22, puis la loi 101, le français est la langue officielle du Québec.

Je dois l’avouer, je suis une enfant de Meech. Cette volonté de faire adhérer le Québec dans « l’honneur et l’enthousiasme », des paroles prononcées par Brian Mulroney et écrites par Lucien Bouchard ont galvanisé mon engagement. Puis cette phrase mythique de Robert Bourassa a, comme pour bien des Québécois, ancré ma posture. Le Québec est libre et capable d’assumer son destin.

Si on attend les autres, la reconnaissance risque de ne jamais arriver. En faisant ce geste autonomiste trois décennies plus tard, le Québec relève la tête calmement, sans drame, pour affirmer tout simplement ce qu’il est.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion