Aimeriez-vous être député de l’opposition à l’Assemblée nationale ces jours-ci ? Avec tous les projecteurs braqués sur une seule personne loin de vos récriminations ? Pour être honnête, la pandémie a émasculé les oppositions à Québec. En fait, la pandémie et la performance du gouvernement. Les appuis indéfectibles qu’expriment les Québécois pour la CAQ auraient pu facilement basculer.

Nos voisins ontariens, face au même ennemi et armés d’autant de vaccins, n’ont pas la même lecture de leur gouvernement. Celui de François Legault a bien géré la crise, tout simplement. M. Legault a bénéficié d’une couverture médiatique sans précédent ; mais ce microscope aurait pu aussi mener à sa déconfiture. Il a agi en timonier d’expérience alors que rien ne l’avait préparé pour cette tempête. Il a su baisser et hausser le ton aux bons moments.

Qu’il parle de la vaccination, des Canadiens ou de sa mère, les Québécois le perçoivent comme authentique. Même son anglais – ni trop mauvais pour que l’on doute qu’il puisse mener des échanges sérieux, ni trop bon pour rappeler qu’il n’a pas fréquenté un collège à Westmount – le rapproche du peuple.

Est-ce dire que le Parti libéral du Québec (PLQ) devrait dès maintenant jeter l’éponge pour les élections de 2022 ? Absolument pas. Les électeurs vont probablement passer à autre chose dans les six prochains mois. Leurs enfants retourneront à l’école à temps plein, les familles se réuniront à nouveau et le désir de parler de tout sauf de santé gagnera la faveur populaire. Et de plus, comme le cabinet n’est pas composé que de joueurs de premier trio, inévitablement le gouvernement trébuchera. Peut-être qu’une fenêtre s’ouvrira pour Dominique Anglade juste à temps pour l’appel aux urnes.

Mme Anglade est toutefois aux commandes d’un parti qui se cherche une identité. Ceux qui ont souvent voté pour le PLQ pour éviter que le Parti québécois ne prenne le pouvoir ont trouvé une nouvelle police d’assurance. Son défi dépasse toutefois le positionnement du PLQ et touche aussi son flair politique. Elle rappelle Michael Ignatieff – probablement le plus érudit des politiciens fédéraux des dernières décennies.

M. Ignatieff avait vécu à l’étranger, enseigné à King’s College à Cambridge et à Harvard et écrit de nombreux livres. Ses insuccès à se défaire de ses robes professorales ont beaucoup contribué à l’échec historique des libéraux en 2011. M. Ignatieff méritait un meilleur sort – au moins celui de garder son siège au Parlement où il aurait certainement continué d’apporter une importante contribution.

Le discours du PLQ et de sa cheffe

La période de questions à l’Assemblée nationale nous offre une vignette (imparfaite, j’en conviens) sur le style et les orientations de Mme Anglade. Toujours accompagnée d’aide-mémoire, elle cite souvent des tiers pour justifier son argumentaire. Récemment, sur un enjeu qu’elle devrait maîtriser (l’économie), c’était au tour de Gérald Filion de Radio-Canada de jouer le rôle de faire-valoir.

Pendant de nombreuses semaines l’hiver dernier, alors que Rome brûlait, Mme Anglade prônait un débat pour que le gouvernement justifie les mesures extraordinaires imposées pour combattre la pandémie.

Alors que le PLQ obsède encore sur les questions d’éthique de Pierre Fitzgibbon et les salaires versés à certains dirigeants d’Investissement Québec, on interroge peu le ministre de l’Économie sur les nombreux prêts à remboursement conditionnel (dits « pardonnables ») offerts par son ministère. À vouloir plaire aux électeurs de la capitale nationale, Mme Anglade risque aussi de se mettre à dos beaucoup d’électeurs qui cherchent encore à comprendre le troisième lien à Québec. Je trouve étonnant que des chroniqueurs du Journal de Montréal et de La Presse avancent de meilleurs arguments que le PLQ pour critiquer certaines mesures gouvernementales.

Mme Anglade compte aussi sur certains atouts, notamment Marwah Rizqy et Marie Montpetit, deux femmes talentueuses qui maîtrisent leurs sujets. Elle aurait avantage à les mettre en vitrine lors de la prochaine campagne. Le contraste avec la CAQ – dont les premiers de classe sont surtout masculins et dans la soixantaine – ne peut qu’être bénéfique. Mme Anglade aura aussi un avantage durant la campagne électorale – le premier ministre n’aime pas être sur la défensive et perd patience rapidement. L’approche toujours calme et posée de Mme Anglade lui sourira.

Les sondages confirment que les Québécois sont pour l’instant peu attirés par le discours du PLQ et de sa cheffe. Il reste du temps à Mme Anglade pour peaufiner une stratégie électorale et ajuster son offre. Mais si elle veut éviter le sort subi par M. Ignatieff, elle aurait avantage à examiner la forêt plutôt qu’à se pencher uniquement sur les arbres.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion