Beaucoup l’ont dit, le projet de loi 96 ratisse large et cible de nombreuses actions pour la cause par ailleurs bien légitime de protéger la langue française au Québec. Mais on pénalise de façon démesurée les élèves qui fréquentent les collèges anglophones.

En vrac et d’un seul coup, on y modifie le nombre d’élèves admis avec une méthode de calcul alambiquée, on crée des catégories différentes d’élèves, selon la langue de ces derniers, aux fins d’admission et de diplomation et on fait fi des différences fondamentales entre les cégeps publics et les collèges privés subventionnés. De plus, les mesures du projet de loi s’appliquent indistinctement pour les petits comme les grands collèges, ceux de Montréal ou des régions, en plus d’assujettir à bien des égards le ministère de l’Enseignement supérieur à celui nouvellement créé de la Langue française.

Les dirigeants des collèges anglophones arrivent difficilement à imaginer la mise en œuvre de toutes ces mesures. Casse-tête important à venir, tant pour les collèges que pour les fonctionnaires de l’enseignement supérieur – on imagine sans peine de nouvelles lourdeurs administratives et mécanismes complexes. À vrai dire, il aurait été préférable que les collèges mettent des énergies sur le problème de diplomation du réseau collégial et de l’adéquation formation-emploi.

Mais ce n’est pas les dirigeants des collèges anglophones qu’il faut plaindre ici – plusieurs sont francophones, soit dit en passant, et donc certainement pas insensibles au fait français – mais les élèves francophones du secondaire qui choisissent de poursuivre des études supérieures en anglais.

On entend souvent que beaucoup d’entre eux optent pour un collège anglophone pour parfaire leur anglais – c’est en fait une vue très réductrice des choses. Un jeune choisit son collège selon plusieurs facteurs ; le programme d’études, la vie étudiante, l’emplacement et oui, la langue d’enseignement fait partie des critères. C’est que pour de nombreux élèves, le collège anglophone est un passeport pour accéder aux meilleures universités, d’ici et d’ailleurs. On devrait tirer fierté de ces ambitions.

Une décision majeure

Il faut voir sur le terrain comment le choix d’un collège est une décision majeure pour un élève et ses parents. Les portes ouvertes des collèges sont d’ailleurs particulièrement fréquentées ces dernières années. Les questions des jeunes et de leurs parents – majoritairement impliqués dans ce choix – sont de plus en plus pointues et exigeantes. Ces jeunes ont travaillé très fort au secondaire, veulent poursuivre des carrières qui assureront leur épanouissement individuel ainsi que la richesse collective, et clairement souhaitent faire le meilleur choix.

Si le projet de loi 96 est adopté dans son libellé actuel, il faudra répondre à ces jeunes francophones que leur choix de collège est limité, au nom d’intérêts collectifs supérieurs.

Il faudra bien faire comprendre à ces jeunes que ce choix n’est pas vraiment le bon, qu’ils nuisent au fait français s’ils décident de choisir un collège anglophone, qu’ils portent en eux l’odieux du déclin du français au Québec.

En limitant la place des francophones dans les établissements d’enseignement anglophones, on pénalise ces mêmes francophones qu’on veut pourtant protéger en limitant leur choix individuel à un moment de la vie où ils souhaitent ardemment exprimer ce choix. Paradoxalement, les établissements anglophones risquent de devoir se replier sur eux-mêmes, ayant moins de francophones pour assurer la vitalité des activités socioculturelles en français au collège pour ne citer que cet exemple.

Le projet de loi 96 présente d’excellentes mesures, poursuit un noble objectif. Cibler les jeunes francophones comme coupables du déclin du français est une simplification malheureuse.

Il est dommage que, contrairement à de nombreux autres dossiers comme la santé mentale ou la réussite éducative, les parties prenantes du réseau collégial, au premier chef les élèves, n’aient pas été mis à contribution pour examiner ensemble comment les établissements du collégial, en particulier ceux du réseau anglophone, pourraient contribuer à l’épanouissement du français.

Il est à espérer que les consultations annoncées de l’automne permettront de bonifier le projet de loi. Les jeunes francophones méritent qu’on s’attarde à leurs véritables aspirations.

Et non, ce n’est pas de se contenter d’être né pour un petit pain.

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