La fragilité du français dans la région métropolitaine n’est pas une simple vue de l’esprit. Il y a donc du bon dans la récente réforme de la Charte de la langue française. Mais un aspect de cette réforme est troublant. Ainsi, certains, et non des moindres, trouvent « merveilleux » que la Charte de la langue française soit modifiée afin qu’y soit reconnu le pouvoir du Parlement du Québec d’établir « un équilibre entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et libertés de la personne ».

Il va de soi qu’il revient avant tout aux autorités publiques d’établir un équilibre entre les intérêts de la majorité et les droits des citoyens. Ce qui ne va pas de soi, par contre, c’est cette idée, déjà présente dans le projet de loi 21 (sur la laïcité), qu’il faille établir un équilibre entre les « droits collectifs de la nation québécoise » et les droits fondamentaux des citoyens.

La notion de « droits et libertés de la personne » n’est pas banale. Historiquement, elle est née de la conviction qu’il fallait protéger certains attributs fondamentaux de la personne à l’encontre de la domination de l’État. Au cours du XXe siècle, cette idée a été étendue pour faire bénéficier certaines minorités nationales et ethniques de « droits collectifs » afin, encore une fois, de les protéger de la domination de la majorité qui parle par la bouche de l’État. Ainsi, le Québec, en tant que minorité nationale, peut se réclamer de droits collectifs à l’encontre de la majorité canadienne. Le fédéralisme a été la réponse institutionnelle à cette demande.

Autrement dit, le concept de droits, individuels ou collectifs, a toujours eu pour vocation de protéger les dominés.

Nulle part, que ce soit en droit national ou international, trouverez-vous un document ou un texte juridique qui justifie la limitation des droits des citoyens au nom des « droits collectifs » de la majorité nationale.

Les droits collectifs permettent de se défendre contre les plus puissants que soi. Ils n’autorisent pas la minorité qui les invoque à retourner son pouvoir collectif contre ses propres ressortissants.

Il faut donc appeler un chat un chat. Quand l’État québécois limite les droits de ses citoyens, il le fait dans l’exercice de son pouvoir souverain de contrainte et non en tant que mandataire d’une nation détenant des droits collectifs. Même si certaines limites aux droits individuels des citoyens peuvent être parfaitement raisonnables, elles résultent tout de même d’un acte de pouvoir et non de l’exercice d’un quelconque droit collectif.

Un crime de lèse-nation

La majorité (la « nation québécoise » dont parle la CAQ) n’a d’ailleurs pas besoin de droits collectifs pour imposer sa volonté aux minorités et aux citoyens. Elle peut mobiliser toute la puissance de l’État pour contraindre ceux qui ne pensent pas comme elle. Les lois 21 et 96 en sont la preuve.

On objectera que tout ça n’est que nuances sans importance. Pourtant, si demain Ottawa et les autres provinces parvenaient à faire inscrire dans le préambule de la Constitution qu’il revient au Parlement du Canada d’établir « un équilibre entre les droits collectifs de la nation canadienne et les droits et libertés de la personne », j’entends d’ici les hurlements hystériques.

À force de répéter le mantra des « droits collectifs de la nation québécoise », la CAQ en est venue à « naturaliser » l’idée que la nation québécoise a bel et bien non seulement le pouvoir, mais aussi le devoir de limiter les droits individuels de ses citoyens.

C’est très habile, car contester en toute légitimité une mesure gouvernementale devient aujourd’hui un crime de lèse-nation.

Enfin, on notera que ceux qui trouvent « merveilleux » cet ajout sont également enthousiasmés par l’adoption, une nouvelle fois, de la disposition de dérogation qui s’applique tout autant à la Charte québécoise qu’à la Charte canadienne. Au moins, ils sont cohérents. Aussi bien écarter tout à fait l’examen des droits et libertés, ce sera plus simple ainsi.

Mais il faut excuser la CAQ. Après tout, c’est déjà épuisant d’écarter la démocratie parlementaire en gouvernant par décret. Si, en plus, il faut se soucier des droits et libertés, où s’en va-t-on ?

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