Il y a d’excellentes raisons pour aimer Israël. Pays pluraliste sur le plan des idées, de la culture, de la presse et de la critique sociale. Il y a des raisons de se solidariser de son peuple qui y a trouvé refuge après des siècles de persécutions.

Toutefois, il n’y a plus aucune excuse pour ignorer le régime d’apartheid qui s’y est instauré, petit à petit, mais avec une constance inébranlable. Les évènements qui ont conduit à l’explosion actuelle parlent d’eux-mêmes : des familles palestiniennes sont sous le coup d’une procédure d’expulsion (contestée en Cour suprême) des maisons qu’elles occupent dans le quartier Cheikh Jarrah de Jérusalem-Est. Ces maisons ont été construites sur des terres ayant appartenu à des Juifs avant la guerre de 1948 – qui scinda Israël et les territoires arabes de Palestine. Suite à l’occupation israélienne subséquente de ce quartier, survenue en 1967 et qui perdure depuis, la loi israélienne permet aux héritiers des anciens propriétaires juifs de revendiquer ces propriétés. Mais vous chercherez en vain un droit équivalent au retour dans leurs anciennes propriétés pour les milliers de Palestiniens dépossédés des maisons, terres et villages entiers qui se trouvent du côté israélien et sont habités par des Juifs.

Ceci est un fait d’apartheid. Et ce n’est pas le seul. La confiscation des terres, la colonisation, la restriction des déplacements, la détention arbitraire, la transformation d’enclaves palestiniennes autogérées comme des bantoustans, toutes ces pratiques n’ont cessé de s’amplifier depuis un demi-siècle nonobstant le processus dit « de paix » initié en 1993 par les accords d’Oslo.

L’apparition progressive de l’apartheid israélien est désormais un fait historique. On a longuement refusé de le voir et de le reconnaître, le laissant planer comme un slogan de l’« extrême gauche antisioniste ». Or, ce constat a depuis largement débordé les cercles militants et suscite en Israël même une prise de conscience en de nombreux cercles.

Tant qu’a perduré l’espoir d’une solution négociée pour deux États – Israël et Palestine – vivant côte à côte, on pouvait s’accommoder de cette injustice flagrante en maintenant l’illusion de son caractère transitoire, et ce, dans l’espoir d’une paix possible. Mais après plus d’un demi-siècle d’occupation de la Palestine (y compris Jérusalem-Est) et devant le caractère permanent de celle-ci, on ne peut plus entretenir le déni.

Qu’en est-il du Canada d’aujourd’hui ?

Pendant longtemps, le Canada s’est positionné en tant qu’arbitre de bonne foi de ce conflit (honest broker). Cette position illusoire, compte tenu du peu de poids relatif du Canada au Moyen-Orient, est restée une position confortable sans grande conséquence.

Stephen Harper a, en son temps, balayé cette posture d’un revers de main en clamant que le Canada était, de par le monde, le « meilleur ami d’Israël ». Cela avait l’avantage de plaire aux lobbies pro-Israël canadiens, qu’ils soient issus de la communauté juive ou du courant chrétien évangélique, proche du Parti conservateur. Même si Harper n’a jamais explicité sa politique comme découlant de l’influence messianique des nationalistes religieux juifs et des « sionistes chrétiens » de son camp, son soutien inconditionnel relevait de la foi plus que de l’expérience. Il n’avait jamais mis les pieds en Terre sainte avant d’être premier ministre et son ignorance volontaire de la situation palestinienne était ouvertement militante, son gouvernement allant jusqu’à retirer toute aide aux Palestiniens quand elle irritait les franges les plus nationalistes d’Israël.

Cette parenthèse dans la politique canadienne s’est refermée avec l’arrivée de Justin Trudeau. Le train-train ronronnant de l’arbitre bien intentionné a repris son cours et, dans le conflit actuel, on se contentera, une fois de plus, de souhaiter une désescalade, de demander un arrêt des tirs de roquettes du Hamas (le Hamas est à l’écoute, n’en doutons pas !) et une modération israélienne dans l’affaire de Cheikh Jarrah (« Tel Aviv » prend bien note !).

J’avance qu’il est grand temps de revoir cette approche à la lumière de l’état d’apartheid qui sévit en Israël. En ce domaine, le Canada a par le passé montré la voie, se faisant le champion de l’opposition mondiale à l’apartheid en Afrique du Sud.

À l’époque, Brian Mulroney avait pris sur lui de rompre avec l’omerta occidentale face à la situation sud-africaine. En 1985, le Canada devenait le premier pays occidental à imposer des sanctions à l’Afrique du Sud. Il l’avait fait contre Margaret Thatcher au sein du Commonwealth et à l’encontre des États-Unis qui misaient sur le régime de Pretoria pour contrer l’influence soviétique en Afrique. Ce courage et cette vision politiques sont aujourd’hui considérés comme le plus important legs de Mulroney en politique étrangère.

Le Canada est-il encore capable d’un tel leadership ?

Reconnaître la situation d’apartheid en Israël n’équivaut pas à lancer un appel au « boycottage des Juifs ». C’est cesser de se conter des menteries. Entre « meilleurs amis », on se doit un minimum de vérité.

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