Nous voici à quelques semaines de la fin de l’année scolaire la plus étrange et inusitée que nous ayons collectivement vécue. Alors que votre père et moi avons enfin reçu la fameuse potion nous donnant le droit de rêver à des jours meilleurs, je souhaite vous faire partager mes réflexions et mon regard sur les derniers mois.

Sachant que tant de gens n’ont pas eu la même chance que notre famille, j’écris ces mots avec égard, empathie et gratitude pour tous ceux qui, plutôt que d’être collés à leurs enfants pendant un an, en ont été cruellement séparés, aspirés qu’ils étaient dans le tourbillon des soins aux malades et peut-être eux-mêmes confinés avec un diagnostic de COVID-19, ou luttant pour leur vie.

Le télétravail m’a quant à moi ramenée dans cet endroit si peu fréquenté : notre maison. Si je me suis parfois noyée dans le travail et que ma vie personnelle et ma vie professionnelle ont perdu leurs frontières, j’ai quand même eu l’immense bonheur de profiter de votre présence au cours des derniers mois. Et je veux vous dire combien j’ai savouré cette chance de pouvoir prolonger, un tant soit peu, l’éphémère période de votre enfance. Vous avoir près de moi m’a rappelé ces instants où, lorsque vous étiez blottis contre mon épaule, je pouvais m’enivrer de l’odeur sucrée de vos petits cous potelés et sentir vos bras satinés m’agripper comme une bouée, dans toute votre pureté, votre innocence et votre vulnérabilité. Je sais que vous ne m’êtes que prêtés et qu’un jour, vous serez grands, mais je ne suis pas prête à ce que ce soit si rapidement. La pandémie m’aura permis de repousser cette échéance, de vivre en suspens, dans une lenteur et une langueur si étrangères à notre mode de vie habituel. J’ai eu le sentiment d’étirer le plaisir de vous voir grandir et de vous avoir sous les yeux, pas tant pour vous surveiller que pour vous protéger et retarder le moment de vous laisser partir à la découverte du monde.

Toi, l’aîné, devenu mon coloc de sous-sol à temps partiel, j’avoue que j’ai parfois tendu l’oreille entre deux rencontres Teams pour t’entendre intervenir dans tes cours virtuels et j’ai savouré chaque minute où j’ai ainsi eu accès aux pensées, aux opinions et aux points de vue du jeune homme que tu deviens.

Toi, mon cadet, qui entre dans l’adolescence et commence à repousser mes câlins, tu t’es plié de bonne grâce à une période de prolongation de débordements de tendresse maternelle. Tu es sans doute celui que la pandémie a frappé le plus durement avec une entrée au secondaire dans l’incertitude et la turbulence. Tu as néanmoins fait preuve de persévérance, de ténacité et de sérénité, en gardant ton beau sourire et ton regard moqueur.

Et toi, benjamine, qui a tant à raconter à ton retour de l’école et que mon statut de maman-qui-travaille me privait de toutes ces croustillantes anecdotes ponctuées d’éclats de ton rire cristallin, j’ai tellement aimé entendre tes pas dans l’escalier et voir ta binette apparaître dans mon bureau pour me faire le récit de ta journée.

Je me suis gavée de vous et j’ai croqué à pleines dents dans ces instants volés qui, n’eût été la pandémie, auraient appartenu à d’autres, mais dont j’ai pu, bien égoïstement, profiter.

Je sais pourtant que vous aussi, vous avez vécu vos peines, vos frustrations et vos déceptions pandémiques. Vous qui mangez du sport et qui vous épanouissez en poussant et en arrêtant des rondelles de hockey, en piquant dans des anneaux de ringuette, en donnant des coups de pied dans des ballons de soccer et en lançant des ballons de football, je vous ai vus ronger votre frein et vainement espérer un retour de vos sports préférés. Je salue votre résilience, votre adhésion aux mesures sanitaires, votre faculté d’adaptation et votre capacité, malgré votre fougue et votre jeunesse, à mettre les évènements en perspective.

On pourrait me reprocher de porter des lunettes roses et de faire abstraction des jours gris où on s’est tapé sur les nerfs, picossé et envoyés promener. Loin de les oublier, je compte au contraire en chérir tout autant le souvenir parce que malgré notre mauvaise humeur, nous étions ensemble, tous les cinq réunis, à l’abri des intempéries. Et comme bien d’autres, nous avons nous aussi adopté notre chien COVID qui, sous son épaisse tignasse brune frisée et ses grands yeux doux, a soufflé sur notre tribu un vent de joie, de bonne humeur et de folie, tout en nous offrant une bonne dose de réconfort.

Alors voilà, mes beaux enfants, la pandémie tire à sa fin, laissant dans son sillage des deuils, des tragédies, de profondes cicatrices et de grandes leçons de vie. J’espère que vous ne banaliserez pas les révoltantes inégalités qui ont été exacerbées par la crise et que vous aurez envie, à petite ou grande échelle, de lutter contre elles. J’espère aussi que vous comprendrez qu’il n’y a jamais rien d’acquis et qu’il faut prendre soin de notre planète et de notre prochain. Soyez humbles et reconnaissants du sort qui vous a été réservé, de la chance que vous avez de bientôt pouvoir étreindre à nouveau vos grands-parents adorés et d’avoir un toit, l’amour et la santé.

Pour ma part, je vous remercie pour ces précieux moments de la dernière année qui ont réchauffé mon cœur, garni ma boîte à souvenirs et confirmé combien la vie m’a comblée en me choisissant pour être votre maman. Il sera bientôt temps pour vous de retrouver votre élan et de reprendre votre envol : sortez, explorez, goûtez, trébuchez, rebondissez et n’oubliez jamais que vous trouverez toujours chez nous un endroit pour vous poser, vous réfugier et être aimés.

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