Lors de la campagne électorale fédérale en 2006, il fut beaucoup question du déséquilibre fiscal. Les conservateurs affrontaient alors l’architecte du redressement des finances publiques à Ottawa, Paul Martin, qu’ils accusaient d’avoir outrageusement coupé dans les transferts aux provinces pour faire passer les livres du rouge au noir. Stephen Harper s’était engagé à traiter prioritairement ce dossier et profitait d’un fort courant de sympathie dans les capitales provinciales, particulièrement à Québec où Jean Charest avait joué un rôle de chef de file pour décrier ces iniquités fiscales.

Les motifs associés à un renversement de gouvernement sont habituellement nombreux – en 2006, la toxicité découlant du rapport Gomery a certes fragilisé les libéraux. Mais l’enjeu du déséquilibre fiscal frappait deux objectifs simultanément – la promesse de fonds additionnels pour les provinces et l’espoir de relations fédérales-provinciales plus respectueuses.

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Stephen Harper et Jean Charest, lors d’une célébration de la canonisation du frère André, au Stade olympique, en octobre 2010

Plusieurs politiciens provinciaux, dont François Legault, ont exprimé une profonde déception que le budget fédéral du 19 avril dernier ne renferme aucune mesure pour bonifier la contribution annuelle du gouvernement fédéral pour financer les soins de santé. Les provinces avancent qu’Ottawa devrait contribuer à hauteur d’environ 28 milliards de dollars additionnels annuellement.

Malgré les effets de toge de M. Legault et de ses homologues, je doute fort qu’ils se soient réellement attendus à un dénouement heureux.

Le premier ministre Trudeau n’allait pas noyer une annonce aussi importante dans un budget fleuve de 850 pages qui s’intéressait surtout aux enfants et aux gens âgés. Un règlement sur un dossier aussi complexe nécessite des projecteurs exclusifs et l’absence de bruit sur la ligne (par exemple, les Canadiens sont vaccinés et au restaurant…). Et le décor le plus enchanteur pour en faire l’annonce, ou plutôt la promesse, ne serait-il pas le contexte d’une campagne électorale à l’automne ?

Si le gouvernement fédéral consentait à majorer sa contribution sur une base annuelle, il devrait emprunter les sommes nécessaires. Le budget ne prévoit aucune marge de manœuvre dans les prochaines années permettant une augmentation significative des transferts aux provinces. À Québec et ailleurs au Canada, on arguera que les provinces ne peuvent être tributaires des choix budgétaires d’Ottawa (un programme de garderies pancanadien, des chèques aux gens âgés, etc.). Les provinces ont raison de demander à Ottawa de contribuer adéquatement aux dépenses en santé. Mais, en revanche, elles aussi font des choix qui, souvent, viennent bousculer leurs projections financières.

En vitrine, difficile de ne pas exposer le projet hydroélectrique de Muskrat Falls à Terre-Neuve-et-Labrador. Oxygéné par des élus obsédés par l’idée de réparer les impairs d’un mauvais contrat conclu avec Hydro-Québec il y a 50 ans, ce projet téméraire a encouru des dépassements de coûts de plus de 6 milliards de dollars (largement financés sur le bilan d’Ottawa). Pour traduire les pertes dans le contexte du Québec, c’est un peu comme si le naufrage de la papetière Gaspésia avait coûté 75 milliards aux contribuables québécois.

L’Alberta est une autre province qui fait des choix, comme celui de ne pas imposer de taxe de vente. Comme celui aussi d’avoir hésité à diversifier son économie.

Pourquoi ne s’est-elle jamais lancée à l’assaut d’une industrie comme la technologie ? Armée de son Heritage Fund, le fonds de 17 milliards qui renferme les dividendes liés à l’exploitation pétrolière, l’Alberta aurait pu faire des malheurs. Mais les subventions et crédits d’impôt n’ont jamais eu la cote en Alberta. Et aujourd’hui la province se trouve au milieu d’un carrefour giratoire avec des choix difficiles.

Dans la foulée du règlement du déséquilibre fiscal sous Stephen Harper, Jean Charest avait choisi de se servir d’une partie des nouveaux transferts d’Ottawa pour réduire les impôts au Québec. Il avait fait ce geste à la veille du déclenchement d’élections provinciales au printemps 2007. Cette décision avait fortement irrité l’entourage de M. Harper – ayant prétendu avoir urgemment besoin de refaire la toiture, M. Charest s’était plutôt fait construire une piscine.

Les provinces auront observé depuis 15 mois non seulement la capacité insondable d’emprunter du fédéral, mais une certaine nonchalance face à des déficits hallucinants. Les cris à l’aide risquent de se multiplier. À l’aube d’une campagne électorale fédérale, j’espère que les principaux partis ne tomberont pas dans la surenchère des transferts. Quand le gouvernement fédéral décaisse, l’argent provient ultimement de la même personne. Celle qui n’a jamais vraiment le choix – le contribuable.

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