Nous surfons sur une vague de changements sociaux d’une grande ampleur dans le monde des affaires, lesquels à terme produiront une véritable révolution, une révolution des esprits, les seules véritables révolutions, a écrit Alain Peyrefitte.

La diversité dans tous les domaines de l’activité humaine, mais particulièrement au sein des conseils d’administration et de la direction générale, est devenue un objectif incontournable. Mais la diversité n’est qu’une composante d’une réforme plus radicale visant à imposer aux entreprises une responsabilité directe pour les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Le gouvernement canadien se joint aux gouvernements de nombreuses régions du monde qui semblent renoncer au principe de l’égalité des chances et adopter plutôt la notion d’égalité des résultats ou d’équité et imputer une responsabilité directe aux entreprises pour tout impact écologique de leurs activités.

Qu’est-ce qui explique ce phénomène à ce moment précis dans le contexte actuel ? Vues de loin, les économies nationales semblent maintenant dominées par de gargantuesques sociétés, souvent transnationales, souvent oligopolistiques ou monopolistiques. Leur « indécente » rentabilité, la richesse époustouflante de leurs principaux actionnaires, les rémunérations princières versées à leurs dirigeants ont mené à une remise en question chez un vaste segment de la population du statut, du rôle et des obligations de ces Léviathans. Fini ce respect admiratif pour les entrepreneurs, finies les courbettes de la classe politique devant les desiderata des chambres de commerce.

Le seul magistère que craignent encore ces grandes sociétés appartient aux grands fonds institutionnels de placement.

Or, les militants du climat et de l’équité sociale ont bousculé et enrôlé de grands gestionnaires de fonds institutionnels, y compris les grands fonds indiciels, dans leur programme pour imposer aux entreprises une multitude d’obligations, de comptes à rendre, d’objectifs et de conformité. De leur objectif historique qu’était le rendement pour leurs clients, ils sont passés à un nouveau credo : faire le bien pour l’environnement et pour la société dans son ensemble, c’est ce que leurs clients veulent vraiment (sans qu’ils soient consultés bien sûr) et, en fait, cette nouvelle vocation augmentera la performance de l’entreprise pour l’ensemble de ses parties prenantes.

L’ère de la conscience sociale et environnementale

Le terrain était fertile. La haute direction des grands fonds institutionnels comme les dirigeants des grandes entreprises sont maintenant issus en grande partie d’une nouvelle génération de personnes nées à l’ère de la conscience sociale et environnementale, façonnées par les valeurs acquises au cours de leurs études universitaires et partageant le consensus dominant sur un éventail de questions sociales et politiques. Elles sont preneuses des objectifs sociaux de diversité, convaincues de la menace imminente d’une grave crise écologique, enthousiastes du modèle de parties prenantes pour l’entreprise. À condition, bien sûr, que cela n’ait pas d’impact majeur à la baisse sur leur rémunération.

Les membres des conseils d’administration sont généralement favorables à ces développements, mais estiment que leur mise en œuvre devrait se dérouler sur des périodes de temps appropriées. Ils comprennent aussi que toutes les sociétés n’ont pas la taille et les ressources pour relever tous ces nouveaux défis, que leur pertinence n’a pas la même acuité chez les PME.

Mais, face aux pressions urgentes exercées par les fonds de placement, les agences de conseil en vote de procuration, les régulateurs, les gouvernements et le personnel pour atteindre rapidement certains objectifs souhaités, les conseils d’administration, ciblés individuellement, sont dépourvus de moyens efficaces de résistance et n’ont pas d’organisme pour défendre leur position sur la place publique.

Alors, ils se joignent silencieusement au consensus, parfois inquiets des conséquences pour les entreprises les plus vulnérables.

La gestion et la gouvernance des grandes (et moins grandes) sociétés commerciales pourraient désormais ressembler à celles des sociétés d’État. Leur mission et leur gestion devront prendre en compte les attentes de toutes les parties prenantes et de tous les groupes militants entourant la société. Peut-être cela est-il acceptable, voire souhaitable, à condition cependant que tous leurs concurrents internationaux soient soumis aux mêmes obligations.

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