En réponse au texte d’Anne-Marie Boucher et de Dominic Dubois, « Surprescription d’antidépresseurs : et si on parlait de sevrage ? », publié le 2 mai

Madame Boucher, Monsieur Dubois, je suis médecin psychiatre. Jamais je n’ai autant travaillé qu’au cours de la dernière année. Les besoins en santé mentale sont grandissants. Les stratégies adaptatives des membres de notre communauté sont mises à rude épreuve au cours de cette pandémie.

J’assiste à une année d’éclosion de psychoses, de dépressions, de troubles anxieux, de troubles liés à l’usage de substances et, malheureusement, de suicides. Je soutiens mes collègues médecins de famille dans leur tâche d’accompagnement holistique de leur clientèle. Leur approche est biologique, psychologique, sociale, interpersonnelle, transpersonnelle et parfois spirituelle.

La première chose qu’un médecin aborde avec l’individu en détresse est ses habitudes de vie, de sommeil, de gestion du stress. J’ai prescrit autant de paires d’espadrilles à ma clientèle que de médicaments antidépresseurs au cours de la dernière année. L’activité physique est un antidépresseur avéré.

Votre dénégation de la sensibilité du médecin et votre perception de son rôle réduit à celui de prescripteur de pilules me déçoivent. Je les conçois telle une distorsion de la réalité, dans l’unique but de soulager votre propre sentiment d’impuissance face à l’étendue des besoins de notre communauté.

Je tiens à vous témoigner que vous vous trompez de cible. Les médecins ne sont pas insensibles. Les médecins n’abandonnent pas les membres de leur communauté. Les médecins ne manquent pas de connaissances sur les antidépresseurs et sur les symptômes de retrait que certains peuvent provoquer.

Alors qu’une étude soulignait à l’automne 2020 que plus de 50 % des jeunes souffraient de symptômes répondant aux critères d’un trouble d’anxiété généralisée ou d’un épisode dépressif caractérisé, la hausse de prescription d’antidépresseurs se chiffre à environ 20 %. L’hypothèse d’une surmédicalisation est difficile à soutenir.

Par ailleurs, vous inférez en votre article que la prescription d’antidépresseurs est inadéquate, une solution facile face à un problème complexe qui exige en alternative un accompagnement humain. Je conçois plutôt que le recours aux antidépresseurs exige un accompagnement humain qui est la plupart du temps déployé par le médecin et son équipe de soin, en partenariat avec les organismes communautaires qui sont nos alliés.

Cette pandémie et la détresse qu’elle génère ne constituent pas une situation normale. Elle n’en est pas moins dans l’ordre de la nature. La détresse qu’elle engendre a beau être généralisée, elle dépasse le seuil de la simple réaction psychologique pour un nombre croissant d’individus et expose certaines personnes à des taux de cortisol sérique, hormone du stress, dangereux pour leur équilibre.

Le rôle de la médecine est de luter contre l’ordre (ou le désordre) de la nature, puisse-t-on y référer sous les termes de maladies ou de troubles, pour retrouver un nouvel équilibre favorisant la santé, la longévité et l’épanouissement personnel et collectif. C’est en travaillant ensemble que nous pouvons atteindre cet objectif.

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