Jean ne va pas bien depuis très longtemps. Son enfance a été marquée par la violence, la négligence, l’abus et l’intimidation. Il a grandi en portant le poids de ces traumas répétés, isolé et sans soutien, tout en étant atteint d’un trouble bipolaire. La consommation lui a permis de composer avec ses souffrances, et son histoire est empreinte d’instabilité, de tentatives de suicide, de précarité et d’itinérance, entre autres choses.

La majorité des personnes itinérantes ont été confrontées à des évènements traumatiques complexes. Or, ceux-ci laissent des séquelles profondes et mènent souvent à diverses difficultés qui entravent le fonctionnement et contribuent à la désaffiliation. Toutes les personnes itinérantes ne présentent pas de problèmes de santé mentale, mais beaucoup éprouvent un grand mal-être qui requiert un accompagnement psychologique. Dans les faits, lorsqu’elles trouvent le courage de demander de l’aide, ces personnes font face à une quantité effarante d’obstacles.

Jean a traversé un véritable parcours du combattant. Le temps qu’il a passé sur diverses listes d’attente représente facilement plusieurs années. Il ne compte plus les occasions où il lui a fallu raconter pour la énième fois toute son histoire à un nouvel interlocuteur, en vain. Ses demandes d’aide successives ont échoué, souvent pour des raisons administratives. Corrélativement à cela, sa situation n’a cessé de se détériorer, pour devenir critique : il est aujourd’hui envahi d’affects dépressifs majeurs, il est de plus en plus désorganisé et il a fini par perdre son appartement. Il connaît quelques épisodes psychotiques et a des idées suicidaires.

Ses séjours aux urgences, lorsqu’il est en crise, donnent lieu à de brèves hospitalisations, sans offre de suivi ni référence à la sortie.

Si l’accès aux soins est un enjeu central, la qualité et l’adaptabilité des soins sont tout aussi fondamentales. Un jour, à l’hôpital, on a dit à Jean que c’était son problème s’il allait mal, parce qu’il n’avait qu’à arrêter de consommer, et sa demande de psychothérapie a même été refusée pour cette raison. Jean sent justement un besoin pressant d’être accompagné pour parler de sa dépendance et de ce qui l’amène à consommer.

Des services axés sur la performance

Les services publics s’organisent de plus en plus selon une logique axée sur la performance, l’uniformisation des soins et la mesurabilité des objectifs. Cette vision empêche la pleine prise en compte et l’accueil de l’expérience de la personne, de la complexité de son parcours et de ce qu’elle veut pour elle-même. Le recours aux services contribue souvent à aggraver la détresse des personnes marginalisées, qui se heurtent à des portes fermées, au rejet et au jugement. Au sein même des milieux de soins censés accueillir les personnes, il existe encore une grande stigmatisation envers les réalités d’itinérance et de dépendance.

Si le prénom utilisé ici est fictif, l’histoire de Jean est bien réelle et se répète trop souvent. Le thème de cette semaine de la santé mentale #parlerpourvrai consiste à reconnaître nos émotions. Je ressens une profonde indignation devant l’exclusion de tant de nos concitoyens et concitoyennes des services de santé mentale auxquels ils ont droit et dont ils ont besoin.

Si certaines initiatives de partenariat entre les milieux publics et communautaires en santé existent et remportent un franc succès, elles demeurent encore trop peu nombreuses.

C’est dans cet esprit, et en vue de remédier à ces iniquités, que Médecins du monde offre des activités en santé mentale destinées aux personnes marginalisées. Notre équipe de psychologues travaille au sein même des organismes, au cœur des communautés, afin de rejoindre les personnes là où elles se trouvent et de réduire au maximum les problèmes d’accès. De la même manière, nous accomplissons notre mission selon une approche humaine et flexible, ancrée dans un travail de construction du lien, ainsi que dans le respect de la situation de vie et de la dignité de chacun.

Si l’annonce d’un plan d’action gouvernemental en santé mentale est un pas dans la bonne direction, l’offre de soins de qualité, accessibles et adaptés à tous les citoyens et toutes les citoyennes, n’est pas qu’une question de ressources financières : cela nécessite une réelle volonté politique et sociale de combattre les inégalités par le développement d’approches humaines qui s’adaptent à la réalité et aux besoins des personnes.

Quand Jean est arrivé dans mon bureau pour commencer sa psychothérapie, il était désorganisé, souffrait beaucoup et était épuisé par ses nombreuses demandes d’aide avortées. Il était grand temps pour lui de se voir offrir un espace thérapeutique sécuritaire et accueillant dans lequel il puisse #parlerpourvrai.

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