La Charte des droits et libertés de la personne protège le droit au logement

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse exprime sa vive inquiétude à l’égard de la situation actuelle du logement au Québec et de ses impacts sur les droits et libertés de la personne.

Des indicateurs clés sont révélateurs de la détérioration de cette situation, dont le taux d’inoccupation qui est demeuré en deçà du niveau d’équilibre dans de nombreuses régions du Québec ces dernières années. Cette rareté exerce une pression à la hausse sur le coût des loyers, ce qui augmente significativement l’effort que doit consentir un nombre de plus en plus grand de ménages pour se loger. Pour les personnes et ménages à faible revenu, cela signifie devoir choisir entre payer le loyer et combler d’autres besoins essentiels tels que se nourrir.

Comme le rappelait récemment la Commission, il importe de reconnaître le rapport de force inégalitaire entre locateurs et locataires.

D’autres indices nous rappellent aussi toute l’attention que devraient obtenir les enjeux relatifs au logement : reprises et évictions sous divers prétextes, harcèlement et intimidation des locataires refusant de quitter leur logement, spéculation immobilière, diminution du nombre de maisons de chambre, pour ne nommer que ceux-là. Ces obstacles ont un impact significatif sur les conditions de vie de personnes qui vivent dans un logement inadéquat, insalubre ou qui doivent déménager, par exemple pour fuir une situation de violence ou d’exploitation.

Le droit au logement

Face à ces constats, la Commission souhaite rappeler à l’ensemble des acteurs concernés que le droit au logement est protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. En effet, ce droit fait implicitement partie du droit à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales susceptibles d’assurer un niveau de vie décent, énoncé à l’article 45 de la Charte québécoise. Plusieurs textes internationaux en vertu desquels le Québec s’est déclaré lié le prévoient également. L’exercice de ce droit est par ailleurs indissociable de plusieurs autres droits, y compris le droit à l’égalité.

Il convient par conséquent de s’assurer de son respect, car le logement est d’abord un abri, mais il est beaucoup plus que ça : c’est le cœur d’une réalité complexe à partir de laquelle la vie tout simplement, puis la vie en société, devient possible. (CDPDJ, 1997)

Depuis plusieurs années, la situation problématique en matière de logement revient constamment dans l’actualité à cette période de l’année. La Commission a souligné à de nombreuses reprises au cours des dernières décennies l’insuffisance des politiques publiques en matière de logement.

La pauvreté est bien souvent le dénominateur commun des exclus du logement, et les facteurs de discrimination systémique rendent l’accès au logement plus difficile pour certaines catégories de personnes : parents avec enfants, notamment les ménages monoparentaux, femmes victimes de violence, jeunes quittant le système de la protection de la jeunesse à leur majorité, personnes âgées en perte d’autonomie, personnes en situation de handicap, personnes en situation d’itinérance, personnes autochtones, notamment celles ayant migré en milieu urbain, personnes racisées, personnes immigrantes, demandeurs d’asile, réfugiés et migrants à statut précaire. De plus, le croisement de ces facteurs peut davantage affecter certains groupes de personnes, par exemple les femmes immigrantes racisées avec enfants.

L’action de la Commission

En plus de faire enquête sur toute situation pouvant constituer de la discrimination dans l’accès au logement et d’entreprendre un recours lorsque la situation le requiert, la Commission a produit au fil des ans de nombreux travaux et formulé des recommandations aux différents ordres de gouvernement, afin de contrer les obstacles au logement. Dans un mémoire sur le racisme et la discrimination systémiques à la Ville de Montréal, la Commission a recommandé que le financement du logement social, convenable et abordable soit à la hauteur des problèmes sociaux découlant du mal-logement et de la pauvreté. Elle a également demandé que soient développés des logements sociaux de différents types – logements familiaux, logements avec ou sans soutien communautaire, coopératives, maisons de chambres, etc. –, qui répondent aux besoins des populations visées. Aussi, dans le cadre des travaux de la commission Laurent, elle a insisté sur les effets du mal-logement sur le développement de l’enfant et sa sécurité.

La Commission demeure consciente des nombreux obstacles pouvant limiter l’exercice de recours : situation de vulnérabilité, méconnaissance des mécanismes de protection disponibles, énergie priorisée sur la recherche d’un logement, peur de représailles, etc. C’est pourquoi elle intervient également par la sensibilisation du public aux pratiques discriminatoires interdites et par l’information sur les recours existants tel que dans sa dernière campagne À louer, sans discrimination.

L’importance de mesures systémiques et structurantes

Des actions systémiques et pérennes sont nécessaires afin de garantir l’effectivité du droit au logement à tous et à toutes.

Celles-ci devraient impliquer une coordination d’efforts assumée par les différents ordres de gouvernement, réunissant aussi l’ensemble des acteurs concernés, soit les organismes publics ayant des responsabilités en matière de logement, les locateurs et leurs représentants. Ces efforts devraient également prévoir la participation des organismes de défense des droits des locataires.

La Commission recommande depuis près de 20 ans la mise en œuvre d’une politique gouvernementale sur le logement fondée sur une compréhension adéquate des droits et libertés de la personne et de l’interdépendance de ceux-ci en plus d'intégrer une perspective de lutte contre la discrimination, le racisme et la pauvreté. Le resserrement du cadre réglementaire pourrait en outre contribuer à assurer le droit au logement. Enfin, des mesures immédiates s’imposent pour les différents ordres de gouvernement afin d’assurer l’occupation sécuritaire d’un logement aux individus et aux familles qui ne bénéficient pas encore de cette protection.

Le rôle de l’État est indispensable pour réguler un secteur de notre société qui autrement désavantage constamment les personnes à faible revenu ou en situation de vulnérabilité.

*Philippe-André Tessier est président, Myrlande Pierre est vice-présidente responsable du mandat charte et Suzanne Arpin est vice-présidente responsable du mandat jeunesse, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

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