Le budget fédéral déposé le 19 avril dernier par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, était très attendu pour plusieurs raisons. D’abord, le dernier budget fédéral datait de plus de deux ans. Ensuite, il s’agissait du premier budget présenté par la première femme ministre des Finances du Canada. Enfin, les libéraux eux-mêmes avaient fait grimper les attentes.

De plus, ce budget a été présenté dans un contexte socioéconomique bien particulier et tout à fait paradoxal. D’un côté, la troisième vague bat son plein et les restrictions sanitaires demeurent. De l’autre, la reprise économique est bel et bien amorcée et tout indique qu’elle sera très vigoureuse (reprise en V ou en K). Plusieurs prévisionnistes prédisent même une croissance record pour 2021, allant jusqu’à 6 % de croissance du PIB réel (et de 10 % du PIB nominal !). Certains craignent d’ailleurs qu’une stimulation économique excessive n’entraîne des pressions inflationnistes persistantes et des déficits budgétaires inutiles.

Dernier considérant et non le moindre : ce budget est probablement le dernier avant les prochaines élections. Voilà pourquoi ce mastodonte de 864 pages comprend tout autant, sinon plus, de contenu sur les valeurs libérales que sur la vision économique du gouvernement. Derrière la multitude de mesures, parfois structurantes et visionnaires, parfois court-termistes et électoralistes, le gouvernement ne nous présente pas un budget traditionnel, mais bien un véritable buffet ouvert de mesures, sans effort de priorisation, semblant donner suite à l’avalanche de demandes des divers groupes d’intérêt.

Par cet exercice, le gouvernement libéral ne propose pas vraiment un plan de stimulation économique – dont le Canada n’a d’ailleurs pas besoin – ni un plan très structuré pour donner un nouvel élan à l’économie à moyen terme.

Bien qu’une partie des 101,4 milliards de dollars investis soit, à juste titre, destinée à aider les citoyens et les entreprises les plus durement touchés par la crise et à restructurer l’économie, il y a également une panoplie de mesures qui n’ont rien à voir avec la crise actuelle ou la relance économique.

Sans vouloir débattre de la pertinence de toutes ces mesures, dans bien des cas, les libéraux semblent avoir utilisé le prétexte de la pandémie pour justifier la mise en œuvre de leurs engagements électoraux de 2019 et préparer la prochaine campagne.

Cette stratégie a ses limites et pourrait bientôt se heurter au mur de la réalité si le gouvernement n’est pas plus transparent et ne propose pas de réel plan pour financer les ambitions d’un État fédéral plus interventionniste et les concilier avec le rôle et les besoins des provinces.

Plus de présence gouvernementale dans l’ère post-COVID ?

Le budget Freeland annonce plusieurs grands chantiers prometteurs, notamment le déploiement d’un réseau national de garderies et l’intensification du virage vers une économie sobre en carbone. Mais derrière ces grandes annonces se profilent aussi quelques raccourcis et omissions volontaires.

La mise sur pied d’un réseau national de garderies à faible coût, à l’image de celui du Québec, constitue l’élément phare du budget. Cette annonce doit être saluée. Elle sera bénéfique pour les mères de jeunes enfants qui souhaitent travailler, mais aussi pour les jeunes enfants issus des milieux défavorisés – c’est d’ailleurs là que les efforts devraient être déployés en premier. Il est toutefois trompeur d’en justifier la pertinence par la crise de la COVID-19. Les mères ont surtout été affectées par la fermeture des écoles et des garderies. Et les impacts les plus marqués ont frappé les femmes de 15 à 24 ans, notamment dans le commerce, la restauration et l’hébergement, qui n’ont généralement pas encore d’enfants.

Bien que ce programme devrait avoir d’importantes retombées économiques et sociales, il est périlleux d’affirmer, en s’appuyant sur l’expérience québécoise, qu’il entraînera systématiquement un rattrapage du taux d’activité des Canadiennes et, encore plus, qu’il s’autofinancera.

Les progrès des Québécoises sur le marché du travail depuis 20 ans s’expliquent par une multitude de facteurs, notamment une hausse marquée de la scolarisation des femmes, qui ne sont pas nécessairement présents ailleurs au Canada.

En outre, le budget propose une série de mesures comme la bonification de la pension de la Sécurité de la vieillesse pour les personnes de 75 ans et plus, une promesse électorale de 2019, qui ne peut certainement pas être décrite comme une politique de relance.

Soyons clairs. Bien que louables, ces mesures sont dispendieuses et récurrentes. Le gouvernement propose de les financer par l’endettement et mise sur la croissance économique qu’elles vont générer pour les financer dans le futur. Grâce aux faibles taux d’intérêt, cette stratégie peut tenir la route à court terme, car l’impact sur le service de la dette et sur le poids de la dette est somme toute limité. Et comme plusieurs pays – États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Japon – ont considérablement accru leurs déficits au cours de la crise, le Canada se compare favorablement.

Ce pari comporte toutefois d’importants risques pour les années à venir. Le financement de notre dette sera plus vulnérable à une hausse des taux d’intérêt, même limitée. Et si les autres pays choisissent d’assainir leurs finances publiques, le Canada pourrait perdre son avantage comparatif.

Enfin, les nouvelles dépenses récurrentes que nous annonce le fédéral ne tiennent pas compte de la pression qu’exerce le vieillissement de la population sur les budgets des provinces, un débat qu’il ne pourra pas éternellement reporter.

Les libéraux devraient donner l’heure juste à la population et présenter la face cachée de leurs ambitions : quelles sont les nouvelles cibles d’endettement pour l’avenir ? Et qui paiera pour ce nouveau rôle plus interventionniste du gouvernement fédéral ?

Le président américain a commencé à ouvrir cette discussion en parlant d’un impôt minimal sur les sociétés et d’une hausse du taux de taxation des entreprises de 21 % à 28 %. Qu’en sera-t-il pour le Canada ?

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