L’ambassadeur de Chine au Canada se prévalait récemment de la liberté d’expression valorisée dans notre pays, à la différence du sien, pour exprimer son point de vue sur plusieurs sujets. Il y aurait beaucoup à redire sur les affirmations de l’ambassadeur Cong à la tribune du CORIM (Conseil des relations internationales de Montréal), mais ses propos sur la règle de droit, en particulier, en auront choqué plus d’un. Manifestement, le Canada et la Chine n’ont pas la même conception de la règle de droit.

J’étais de ceux et celles qui ont instauré les premières collaborations entre la Chine et le Canada en matière de réformes juridiques et de droits de la personne, au tournant du millénaire. Nous n’étions pas naïfs et n’avons jamais supposé que la Chine se transformerait radicalement. Mais l’intérêt des juristes chinois à se familiariser avec d’autres systèmes juridiques était perceptible, tout comme une certaine ouverture au changement.

Force est de constater que ces échanges n’ont donné lieu, au final, qu’à des changements marginaux, principalement dans le domaine du droit économique. Je me souviens d’un entretien avec le président de la Cour populaire suprême de l’époque, qui pouvait en même temps converser sur l’indépendance judiciaire et reconnaître l’autorité suprême du pouvoir politique.

Aujourd’hui on ne fait plus dans les nuances et contradictions : tant le président Xi Jinping que le président actuel de la Cour ont rejeté explicitement le principe de l’indépendance judiciaire, les tribunaux devant être soumis à la direction du Parti communiste.

De même, nous avons collaboré avec des organisations non gouvernementales chinoises, alors qu’un embryon de société civile émergeait. Ici non plus, nous n’avions pas d’illusions quant aux perspectives d’émergence de la démocratie. Aujourd’hui, le peu d’espace pour que les citoyennes et citoyens s’expriment et revendiquent leurs droits s’est refermé, tout débat politique étant sévèrement réprimé.

Même la simple différence est perçue comme une menace. Parlez-en aux centaines de milliers de Ouïghours et d’autres minorités musulmanes qui se trouvent dans des pseudo-centres de formation professionnelle.

Sont-ils là de leur propre volonté ? Sinon, c’est qu’ils sont en détention, sans recours juridique effectif, détention que l’on peut ainsi qualifier d’arbitraire. Qui plus est, l’esprit et les pratiques du système de Laojiao (rééducation par le travail), pourtant officiellement aboli en 2013, se perpétuent.

PHOTO RICH LAM, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Meng Wanzhou, à Vancouver, le 1er avril

Si un dossier illustre la différence entre la Chine et le Canada en matière de droit et de processus judiciaire, c’est bien celui de Mme Meng Wanzhou et de MM. Kovrig et Spavor – « les deux Michael ». Comparons les éléments suivants :

– Mme Meng vit dans sa résidence et est libre de circuler en ville, à quelques contraintes près. Les deux Michael sont confinés à une cellule de prison ;

– Mme Meng rencontre qui elle veut. Les deux Michael sont coupés du monde extérieur, sauf pour de rares visites consulaires ;

– Mme Meng sait exactement de quoi elle est accusée et a accès à toute la preuve, à quelques exceptions près. Les deux Michael ne savent pas vraiment de quoi ils sont accusés et n’ont rien vu de la preuve ;

– Mme Meng bénéficie d’une équipe d’avocats de son choix qui sont très actifs pour la défendre. Les deux Michael n’ont pas eu accès à un avocat qui pouvait présenter une défense ;

– le processus judiciaire de Mme Meng est public. Les « procès » des deux Michael se sont déroulés à huis clos, expédiés en quelques heures ;

– il est possible que Mme Meng obtienne une décision judiciaire en sa faveur. Il n’y a aucune chance que les deux Michael obtiennent une décision judiciaire en leur faveur.

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Un militant brandit une pancarte sur laquelle on peut lire « Libérez les deux Michael », lors d’une manifestation en soutien au mouvement prodémocratie de Hong Kong, à Vancouver, le 16 août dernier.

Le gouvernement chinois a affirmé que les Canadiens n’ont pas la légitimité de critiquer la Chine au motif qu’il y a des violations des droits de la personne ici même au Canada.

Les Canadiens et leur gouvernement ont l’humilité et le courage de reconnaître qu’il y a, malheureusement et effectivement, des violations des droits de la personne au Canada. De plus, ils entretiennent des débats publics à ce sujet et s’efforcent de corriger le tir là où c’est nécessaire.

La presse et les médias jouent d’ailleurs un rôle clef dans ces débats publics. Et les tribunaux sont là, au besoin, pour scruter l’exercice du pouvoir par le gouvernement et redresser les torts.

Monsieur l’ambassadeur, le gouvernement chinois est-il prêt à en faire de même, en commençant par reconnaître qu’il y a des violations des droits de la personne en Chine, et en permettant à ses citoyennes et citoyens d’en débattre ouvertement ?

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