J’ai posé cette question à mon fils : que feras-tu si tu te fais agresser parce que tu es asiatique ? J’étais préparée à parler d’autodéfense et d’insultes. Been there, done that, que je me disais. Des histoires racistes, j’en ai entendu mille, j’en ai vécu cent. Il m’a répondu par une autre question : je fais quoi pour ne pas avoir peur ?

Je suis née en Corée du Sud, j’ai été adoptée à 18 mois par une Gaspésienne et un Abitibien. J’ai grandi en Gaspésie jusqu’à mes 15 ans. Je suis d’ici. Je ne suis pas d’ailleurs. Malgré tout, pour certains, je ne serai jamais au bon endroit. Pourquoi ? Parce que je suis asiatique.

J’ai toujours pensé que mes origines étaient un désavantage. Me faire traiter de « chintok » était anodin quand j’étais jeune. J’étais différente, laide, minable. Je me souviens d’un professeur qui m’avait dit : « Dave t’agace, car il veut ton attention, c’est une preuve qu’il est curieux de toi. » Quelle bêtise que de vouloir excuser le racisme en valorisant le raciste, tout en me rendant fautive de réagir inadéquatement. Je me souviens aussi du jour où, après des années à me faire bousculer, j’avais décidé de me défendre. Ma mère m’avait dit : « Des fois il y a des journées difficiles, mais je sais que pour toi ce n’est pas que quelques journées. »

J’avais 7 ans. Mes origines ont défini ma vie et dessiné les contours de mon identité, elles bâtissent aussi celle de mon fils.

En 2019, j’ai créé une page Facebook « Je ne suis pas raciste mais » qui a connu un certain succès. J’y déposais des parenthèses racistes, par exemple : un parent qui éloigne son enfant en me voyant tout en parlant volontairement assez fort pour que je puisse l’entendre dire « les Chinois sont pas propres ». Mon espoir était de faire comprendre toute l’ampleur du racisme ordinaire, puisque c’est le premier qui gifle la joue des personnes racisées. Je voulais conscientiser les gens à la violence qui s’infiltre par les craques, qui se colle au tapis et qu’on finit par trouver normale, à force de marcher dessus.

J’ai reçu une quantité incroyable d’insultes et de menaces. Une journaliste de Radio-Canada m’a même écrit pour me dire que je faisais du Québec bashing et que je dépeignais les Québécois comme de gros colons racistes. Que je devrais avoir honte. Peu importe comment je présenterai ces évènements, pour certains, je serai toujours en train d’exagérer, prouvant ainsi que ce sont eux les victimes, pas moi.

Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai changé ma manière de faire et d’écrire, j’ai essayé de diversifier mes publications, j’ai finalement fermé ma page. Les racistes me faisaient douter, encore une fois, me faisaient croire que c’était moi le problème et que je ne faisais qu’aggraver la situation, alors que je désirais faire partie de la solution.

La peur

Je n’ai jamais eu peur au Québec, puis la pandémie est arrivée. Des attaques partout. Tous les jours, des articles sur des incidents contre des Asiatiques. Malgré tout, je trouve que le racisme des dernières années n’est pas si différent de celui d’il y a 10-15 ans. C’est du racisme, point. Il n’est pas non plus si différent de celui d’avant les médias sociaux. De celui de mes 10 ans et de mes 40 ans. Il n’est pas différent pour mon fils. Il est juste un peu plus bruyant, un peu moins banalisé, un peu plus médiatisé. Mais il n’est toujours pas systémique pour le gouvernement.

Ce qui est différent et qui est majeur, c’est la réponse au racisme et aux racistes. Nous ne sommes plus seuls face à l’agresseur.

Ce n’est plus que moi et ma mère. Que moi et mon fils. Nous sommes des centaines. Nous sommes légion. Le racisme décomplexé a aussi décomplexé la réponse à celui-ci. Il était temps. La réponse au racisme n’est pas que la responsabilité de la personne racisée, elle est la responsabilité de tous. Incluant le gouvernement.

Je nous encourage à avoir cette conversation nécessaire. Parlons. Ne nous limitons pas à entendre, écoutons aussi. Écouter est un acte d’amour. Éduquons nos enfants à reconnaître la bonté, à la propager, à ne pas avoir peur des autres. À ne pas avoir peur d’eux-mêmes. À mon avis, c’est ce qui nous libérera du choc des combats ordinaires et nous aidera à ne pas avoir peur.

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