J’ai visité beaucoup de communautés francophones en milieu minoritaire avec les Rendez-vous de la francophonie, dont j’ai été porte-parole pendant deux années. Il y a aussi les spectacles et les salons du livre qui m’ont amené à faire de belles rencontres dans les communautés hors Québec et à m’imprégner de leur vague à l’âme identitaire.

L’autre raison pour laquelle j’ai développé cette sensibilité en est une de reconnaissance. En effet, c’est le Programme canadien de bourses de la francophonie qui m’a donné la chance de venir faire des études supérieures ici. Aussi, pour avoir été souvent à Sudbury, je suis vraiment attristé par la situation dramatique dans laquelle se trouve l’Université Laurentienne, qui est une institution importante de l’Ontario francophone. On parle de nombreux programmes en français qui doivent prendre le bord, ce qui fragiliserait grandement cet établissement d’enseignement et de recherche.

PHOTO TARA WALTON, ARCHIVES LA PRESSE

La ville de Sudbury, en Ontario

C’est une mauvaise nouvelle porteuse d’une érosion identitaire qui devrait nous inquiéter et nous indigner beaucoup plus. Autrement, on devrait donner plus d’écho à toutes les revendications qui réclament une cohabitation côte à côte à la place de l’anglicisation coast to coast qui se joue au Canada.

Malheureusement, au Québec, on est tellement préoccupés par nos propres luttes qu’on oublie parfois les tracas de ces gens plus vulnérables qui ont les mêmes mots que nous sur le bout de la langue.

Je suis solidaire de ces gens qui doivent chaque jour déployer beaucoup d’efforts pour ralentir le rouleau compresseur de l’assimilation. Au-delà de cette indispensable solidarité linguistique qui tarde à se manifester concrètement, toutes ces communautés francophones en milieu minoritaire ont des choses à nous apprendre. Elles sont des images miroirs de cette fragilité linguistique et identitaire qui guette le Québec dans un avenir pas très lointain si on continue de se voiler la face.

Lorsque la défense et la promotion des droits linguistiques des francophones hors Québec et la lutte contre l’anglicisation de Montréal deviennent une priorité pour les libéraux fédéraux, c’est qu’il y a vraiment de quoi s’inquiéter. Je ne reviendrai pas ici sur des chiffres et des statistiques. Je sais aussi qu’il y a toujours des gens pour nier la réalité en parlant d’exagération sur fond de réclusion identitaire. Que voulez-vous ? Même pour cette pandémie qui malmène sévèrement l’économie mondiale et a déjà fait près de 3 millions de morts, il y a encore des sceptiques qui parlent de coup monté et de complot planétaire.

Le jour où le français deviendra minoritaire, le Québec ne sera plus pareil. En cause, au-delà de l’histoire, la langue a traditionnellement été une sorte de barrière qui a amené les gens d’ici à consommer majoritairement leurs propres productions culturelles. Ce qui, en grande partie, a contribué au développement d’une façon de penser la vie bien différente de celle de l’anglophonie canadienne. Derrière cette exception sociale et économique très progressiste du Québec, il y a une grande part attribuable à sa différence linguistique. Une particularité qui l’a toujours amené à éviter de produire de pâles copies de ce qui se fait aux États-Unis. La langue et la culture qu’elle véhicule forment le pilier central sans lequel rien ne sera plus comme avant.

Mais comment résister au charme et à la contagiosité de la langue anglaise en Amérique du Nord à l’heure du numérique ? Je vois un certain parallèle entre cette problématique et la difficulté à arrêter l’avancée du variant britannique.

Dans les deux cas, on a affaire à une réaction de substitution qui se fait de façon très sournoise. Le mutant adaptatif du SARS-CoV-2 qu’on dit originaire de Grande-Bretagne a une force de remplacement très forte. Plus contagieux, il tasse rapidement les versions antérieures du virus, car la nature l’a gratifié aussi de la possibilité de mieux habiter les enfants et les adolescents qui sont de formidables véhicules de dispersion.

De la même façon, beaucoup de jeunes aujourd’hui ne se sentent pas préoccupés le moins du monde par la défense de la langue. Au contraire, ces batailles leur paraissent ringardes et, comme ce mutant britannique, la langue anglaise a un pouvoir de subversion extraordinaire sur leur existence. Entendons-nous bien, j’aime la parlure anglaise. J’essaye même chaque jour d’améliorer ma connaissance de la langue de Shakespeare malgré un accent qui fait rire mon fils. On peut être pour le français sans être contre l’anglais, car parler plusieurs langues est une bénédiction sur cette planète de plus en plus mondialisée. La preuve, même si j’ai toujours milité en faveur d’une francophonie canadienne viable, la langue française n’est pas du tout ma langue maternelle. Au contraire, je parlais le sérère et le wolof de mon Sénégal natal bien avant de faire sa rencontre. Je suis juste un observateur venu d’ailleurs qui s’indigne devant le faux bilinguisme canadien que les politiciens aiment bien nous chanter.

L’internet et ses plateformes numériques ont transformé beaucoup de jeunes d’ici en francophones de culture américaine. Et il sera malheureusement très difficile de renverser cette tendance. Disons que les initiatives politiques cosmétiques ne pourront pas faire la différence. Une question. Simon Jolin-Barrette aura-t-il l’espace et les coudées franches nécessaires pour le traitement-choc indispensable au colmatage des trous dans le barrage de castor numéro 101 ?

En attendant la réponse à cette question, je vous raconte une anecdote qui résume ce qui se passe. Un jour, j’ai ramassé une lampe des mille et une nuits sur un trottoir, rue Sainte-Catherine Ouest à Montréal (c’était juste après la naissance de la Société québécoise du cannabis). Après l’avoir frottée de la main, le génie de la lampe est apparu. J’ai vite formulé un vœu, mais il m’a lancé : « Sorry, man, I don’t speak French ! » et il a filé à l’anglaise. Ainsi se termine mon histoire.

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