George Marshall, général américain qui a été responsable du plan de reconstruction d’après-guerre de l’Europe, a dit que la seule façon pour l’homme de gagner une guerre est de l’empêcher. La guerre ne fait que des perdants. Nous n’avons pas évité la pandémie ni ne pourrons prétendre avoir gagné le combat contre la COVID-19, avec plus de 3 millions de morts dans le monde, près de 24 000 au Canada et 11 000 au Québec. Nonobstant, le soulagement sera grand quand la vaccination aura su nous redonner une part de liberté. Car le retour aux normes sociales antérieures est effectivement associé à la liberté.

Par contre, ces normes et priorités sociales devront aussi être revues. Notre perception des choses, nos intentions personnelles et collectives ont subi des mutations, comme le coronavirus, au cours de la dernière année. Il reste que la pandémie a aussi mis à l’épreuve les valeurs de bien des gens, notamment leur résilience et leur engagement envers les autres. Plusieurs, avec une dévotion vocationnelle, ont pris le bâton pour faire leur travail auprès des autres, atteints ou non de la COVID-19. D’autres, pas si rares malheureusement, ont laissé gagner des craintes personnelles aux dépens des responsabilités professionnelles. Il a été trop facile pour plusieurs d’invoquer la pandémie pour réduire leurs prestations de services. Je ne vise aucun groupe en particulier, mais quand on regarde, par exemple, le nombre de personnes travaillant dans le réseau de la santé qui sont inaptes à pratiquer depuis des mois, il y a raison de poser des questions.

De fait, la situation a été stressante et les conditions de travail étaient moins qu’exemplaires. Des rapports ont déjà nommé les manquements sévères en ce qui a trait aux équipements de protection et à la gestion du personnel. Peu importe, ceux qui sont demeurés au front l’ont fait souvent avec un soutien réduit en ressources matérielles et surtout humaines. Il faudra reconnaître cet investissement personnel. Malheureusement, les conventions collectives favorisant le tout pour toutes et tous ne sont pas les bons outils. Les encensements à force d’ange gardien ou autres épithètes non plus ! Plusieurs sortent éméchés, essoufflés par la pandémie. La tâche fut lourde, longue, sans fin… Je ne peux offrir une voie idéale pour remercier, voire récompenser, les vaillants de la pandémie, mais il faudra être novateur et investir dans le désir de les voir demeurer en poste.

Car la pandémie a permis de voir les structures laisser un peu de place aux initiatives des professionnels pour donner de l’oxygène au réseau. Qui pour augmenter la capacité en laboratoire, qui pour préserver les réserves de sang, qui pour établir des plans de soins pour les patients atteints de COVID, et j’en passe. Le professionnalisme des gens s’est démontré, le plus souvent, par une simple question : comment puis-je aider ? Phrase consacrée, pas seulement utilisée dans les séries américaines. Sans recherche d’une consécration secondaire.

Pour paraphraser Tommy Douglas, instigateur de l’universalité des soins au Canada, chaque professionnel « s’inquiète peu d’être un modèle, mais ne veut pas devenir un monument ».

La pandémie a ramené au premier plan le fait que le système de santé est LA colonne vertébrale de la société. Son intégrité est essentielle, sa priorisation indéniable. Je parle ici du système de santé à repenser dans son sens large : la prestation de soins, la structuration des services, le développement de nouvelles technologies et thérapies et une certaine indépendance matérielle. La pandémie a aussi remis au premier plan que la santé est maintenant presque exclusivement basée sur la spécialisation, mais que l’adaptabilité demeure capitale pour offrir les bonnes options au bon moment, comme un vaccin.

En pandémie, les hôpitaux ont pu hypertrophier leurs capacités diagnostiques, pour confirmer ou infirmer la COVID-19. Conservons donc cette expertise nouvellement acquise pour permettre le diagnostic précoce et étayé de bien d’autres pathologies comme les cancers, les maladies cardio-vasculaires, et tant d’autres ! Parce que, disons-le franchement, le Québec ferme la parade en matière de diagnostic précoce et rapide au Canada. De plus, il est devenu marquant que les orientations en santé sortent du cadre politique pour être réappropriées par les scientifiques et vulgarisées à la population en toute transparence. Il faut que cela se poursuive et s’accentue.

Plusieurs argumenteront que la santé gruge déjà une partie trop importante de nos investissements publics. Mais il n’y a pas d’autre option si on choisit une société qui se sent en sécurité, qui profite des meilleures options de vie et de bien-être pour s’accomplir, voire de l’aide médicale à mourir pour s’éteindre en absence d’options assurant la qualité de vie.

Toutes nos vies tournent autour de la santé, la sienne, celles des autres. Cela nous a été renvoyé en plein visage par les confinements séquentiels pour contenir la pandémie.

Fin juin, on devrait pouvoir annoncer que la plupart sont vaccinés. Dès juillet, il faut activer un plan pour ragaillardir le réseau de la santé, pour sortir de la gestion de crise et s’affairer à récompenser les méritoires, à définir nos nouveaux objectifs et suggérer la façon de les atteindre. La tâche est titanesque et peut sembler inatteignable, mais Malraux nous a enseigné que « l’homme ne se construit qu’en poursuivant ce qui le dépasse ».

Oui, il y a aussi l’éducation, les transports, l’environnement. Je serai chauvin en jugeant que la santé doit primer, voire servir d’exemple à la reconstruction qui devra aussi avoir lieu dans d’autres sphères de la vie publique et communautaire. Mais il faut un plan, à la Marshall d’après-guerre, dès maintenant…

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