Où est-ce que le virus a fait le plus de morts sur la planète ? Disons que trois pays sortent du lot pour ce qui est du nombre de victimes. De ces nations sévèrement malmenées par le SARS-CoV-2, il y a le Brésil, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Maintenant, quel est le point commun entre les trois pays ? Leurs dirigeants ont flirté avec la négation de la pandémie.

Bolsonaro et Trump sont des populistes qui carburent au je-m’en-foutisme et Boris Johnson avait choisi l’immunité collective comme stratégie de lutte avant de revenir à la réalité après avoir vu la mort de proche. Sa rencontre avec le virus avait fini par lui faire changer un peu tardivement d’idée. Ce qui a coûté très cher à la Grande-Bretagne en vies humaines. Mais Johnson a bien plus le profil de l’emploi que les deux autres. Je pense même qu’aujourd’hui, malgré le gâchis provoqué par les tergiversations du dirigeant britannique, beaucoup lui ont pardonné sa gestion chaotique de la pandémie, car la campagne de vaccination de son pays fait des jaloux.

Disons que les Anglais doivent être particulièrement contents de détenir les leviers de leur destinée en ces temps de turbulences. Pour une fois, contrairement à la croyance populaire, c’est à Londres que se pointe le beau temps pendant que la grisaille météorologique secoue les pays de l’Union européenne. En plus des dommages économiques et humains, le virus a révélé les côtés très sombres de la lourdeur bureaucratique de Bruxelles.

PHOTO OLI SCARFF, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vaccination dans la cathédrale de Lichfield, en Angleterre

Quand la Grande-Bretagne a commencé sa tentative de sortie de l’Union européenne, on a entendu beaucoup de prédictions effrayantes, voire catastrophiques, quant à son avenir.

L’histoire nous dira si la malédiction économique post-Brexit annoncée sera au rendez-vous, mais en attendant, il est permis de constater que pour ce qui est de la vaccination, elle a été bien plus efficace que le groupe des 27.

Pendant que Boris Johnson parle de déconfinement et de retour des spectateurs vaccinés dans les stades, les pays de l’Union européenne pataugent dans ce qui ressemble à un grand dysfonctionnement systémique. La bisbille y est partout et la solidarité vaccinale s’est effritée. Certains pays membres ont d’ailleurs décidé de piétiner les règlements et de tendre la main à la Russie pour avoir le Spoutnik V. De la commande des vaccins à leur livraison, en passant pas leur injection, les manquements sont si flagrants que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est permis de lancer une flèche à l’Union européenne pour la lenteur abyssale de sa course contre les variants.

Évidemment, cette faille organisationnelle sera largement utilisée par les nationalistes identitaires et autres partisans de la balkanisation de l’Union européenne. Vous voyez bien, diront-ils, que l’Union pèse peut-être plus lourd économiquement parlant, mais elle n’a pas l’agilité nécessaire pour bien traverser une crise. Ce qui n’est pas totalement faux, car dans nos systèmes démocratiques, la grosseur peut être un handicap naturel lorsque la crise se pointe. Qui est plus en risque de disparition ? La grosse baleine ou le petit krill qui la nourrit ? Le fait de virer de bord, d’accélérer, de changer de direction, tout cela devient difficile quand le gigantisme est là. Or, dans une course contre un virus pandémique, on a le résultat du maillon le plus faible de la chaîne. Plus les paliers décisionnels sont nombreux, plus ces facteurs contraignants augmentent, et les initiatives locales et les sacrifices individuels sont plombés par l’inefficacité systémique.

Le Canada est un bon exemple pour illustrer ce phénomène. Ici, le décalage bureaucratique entre les décisions fédérales et les demandes des provinces, qui sont activement au front, ont accouché de ce ralentissement systémique tout au long de la pandémie. Partout dans les provinces, les décideurs politiques ont exhorté, sans succès, Justin de se grouiller aux frontières et aux aéroports pour leur donner une chance. Malheureusement, le fédéral a tellement tardé à réagir que les petits feux sont devenus rapidement des brasiers plus difficiles à contenir. Ce qui se passe actuellement en Ontario est aussi la preuve que la campagne de vaccination n’est pas du tout un succès. Justin Trudeau a acheté près d’une dizaine de vaccins pour chaque Canadien, mais il n’a pas trouvé le juste équilibre entre vitesse de livraison et abondance.

À quoi ça sert de crier sur tous les toits qu’on a commandé un énorme surplus de munitions si elles ne sont pas accessibles quand la bataille décisive fait rage ?

Le succès vaccinal de la Grande-Bretagne, hors de l’Union, amène à se demander si la petitesse ne serait pas, en partie, l’un des critères de résilience en ces temps de crise qui risquent probablement d’être de plus en plus fréquents à cause des bouleversements climatiques et écologiques. Malheureusement, de nos jours, si on veut être du côté des personnes ouvertes, il faut adhérer aux traités de libre-échange, parler d’unions douanières, d’ouverture des frontières et de tous ces concepts qui ont absolument plus à voir avec le capitalisme qu’avec la solidarité et la célébration de la diversité culturelle. La preuve, les dirigeants qui nous chantent ces litanies sont aussi les plus égoïstes avec les vaccins. Pensez à l’Amérique, dont le président a décidé qu’aucune dose ne sortirait du pays. Tout pour nous et rien pour le reste de la planète !

Ce n’est pas une façon élégante d’agir quand on se définit comme leader planétaire. Le fait de laisser une petite partie des vaccins sortir du pays aurait été plus louable et diplomatique. En fait, les seuls qui ont partagé leurs vaccins depuis le début sont la Chine et la Russie. Savez-vous quoi ? Les pays qui reçoivent les doses chinoises s’en souviendront. C’est une autre forme d’impérialisme, diront certains. C’est vrai ! Mais ceux qui réceptionnent ces vaccins n’oublieront pas, car les meilleurs amis sont toujours ceux qui pensent à nous quand tout va mal.

L’Amérique a beau conserver égoïstement ses doses, elle finira par réaliser que la solution durable à la pandémie se trouve dans la solidarité vaccinale. Avec le gigantesque réservoir que représenteront les pays moins riches, le virus continuera de circuler. Si nous comptons sur les vaccins comme défense principale, il faut alors prier pour qu’une mutation adaptative majeure ne modifie pas significativement l’immunogénicité des vaccins fabriqués à partir des premières versions du SARS-CoV-2.

Ce nationalisme vaccinal à l’américaine me rappelle donc un peu le principe de leurs gated communities. Vous savez, ces privilégiés qui se barricadent dans des quartiers étroitement surveillés pour apaiser leur peur des plus pauvres et vulnérables de la société. Cette solution en apparence sécurisante est en vérité une prison de luxe. La véritable paix sociale qui permet de dormir sur ses deux oreilles sans avoir peur, elle n’arrive qu’avec le partage de la richesse et la lutte contre la pauvreté matérielle et intellectuelle. De la même façon, la vie ne pourra pas redevenir très normale dans les pays riches si les pays en développement ne sont pas vaccinés. Oui, il y aura des semblants de normalité comme en Grande-Bretagne, où le Brexit a indéniablement facilité l’efficacité vaccinale. Mais pour combien de temps ? Personne ne le sait !

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