Le projet de réforme du régime de santé et de sécurité du travail est à l’étape de l’étude détaillée en commission parlementaire. Ce projet de loi, qui prétend « moderniser » le régime, abandonnera, dans les faits, ceux et celles qui étaient déjà en situation de précarité, et ce, malgré les amendements déposés en mars par le ministre Jean Boulet à la suite de nombreuses critiques.

Julius a subi une grave blessure dans l’entrepôt où il travaillait par l’entremise d’une agence de placement temporaire. Deux ans plus tard, sa jambe et son dos restent très endoloris et il est plongé dans un cauchemar administratif. Même s’il s’est blessé sur le lieu où il a travaillé pendant un an, légalement l’agence est encore son employeur. Tandis que l’agence et l’entrepôt se renvoient la balle depuis les évènements, Julius peine à subvenir aux besoins de sa fillette de 2 ans.

Julius n’est qu’un exemple parmi une multitude de travailleurs et travailleuses précaires qui sont laissés pour compte par ce projet de loi.

Comme son cas le montre, la responsabilité concernant la protection des droits demeure embrouillée lorsqu’il y a une relation d’emploi triangulaire.

Alors que la réforme de la Loi sur les normes du travail en 2018 a, au moins, introduit partiellement le principe de coresponsabilité en matière de responsabilité pécuniaire. Ce principe n’est pas pris en considération dans la réforme du régime de santé et de sécurité du travail. L’exercice du droit de refuser un travail dangereux, un objet de débat particulier dans le contexte de la pandémie, apparaît aussi hors de portée pour les employés d’agences, qui risquent, à la moindre plainte, de ne plus se voir attribuer de travail. En plus d’instituer dans la loi un principe de coresponsabilité, il faut donc aussi interdire la possibilité de recourir aux agences de placement pour la réalisation de tâches dangereuses.

Travailleuses domestiques

Les travailleuses et travailleurs domestiques représentent une autre catégorie de personnes particulièrement vulnérables en matière de santé et de sécurité du travail. Comme l’affirmait d’ailleurs déjà en 2008 un rapport de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, l’exclusion de ces dernières des protections offertes par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles constitue une discrimination injustifiable. En dépit de quelques améliorations, le gouvernement a choisi de s’appuyer sur une définition étroite exigeant au moins « 420 heures [de travail] sur une période d’un an pour un même particulier » sauf une exception spécifique (7 semaines consécutives de travail à raison d’au moins 30 heures par semaine), qui exclut un grand nombre de personnes. Inacceptable est aussi le fait que leur employeur soit toujours soustrait de l’obligation de la tenue d’un registre des accidents du travail et des maladies professionnelles, ce qui complique indûment les demandes de réparation. Il est donc primordial que la tenue d’un registre soit obligatoire et que conformément à la convention no 189 de l’Organisation internationale du travail, la définition du travailleur domestique soit élargie pour inclure toute personne qui effectue du travail pour un ou plusieurs ménages.

En ce qui a trait à l’amélioration des mesures de prévention, le projet de loi propose d’étendre la participation des travailleurs à tous les secteurs. Cela est certes une avancée, mais il ne faut pas se leurrer.

Dans les milieux non syndiqués – ce qui est le lot de près de 60 % des travailleurs et travailleuses –, l’influence de l’employeur risque d’être déterminante.

De plus, le projet de loi tel qu’amendé par le gouvernement ne fixe pas, non plus, une durée minimale permettant de libérer les représentants des travailleurs afin qu’ils puissent vaquer à leurs activités de prévention. En l’état, cette durée serait négociable, avec un droit d’appel à la CNESST. Afin d’assurer la participation, la loi doit garantir que les gens disposent du temps nécessaire pour le faire, d’autant plus que l’efficacité de cette mesure a été clairement démontrée. Il faut également que les activités soient encadrées et soutenues par un mécanisme public et transparent, par exemple par la création d’un « Bureau des représentants en prévention », avec un rôle officiel et un financement public conséquent.

Plus largement, non seulement le projet de loi, s’il n’est pas nouvellement amendé, instituera des reculs très importants en matière de réparation des lésions professionnelles comme plusieurs l’ont déjà souligné, mais il ne reflète pas les mutations du monde du travail cantonnant plusieurs travailleurs dans des formes précaires d’emploi. Alors que la pandémie nous met en garde, plus que jamais, sur l’importance des mesures de santé et de sécurité du travail, les propositions du gouvernement sont malheureusement largement insuffisantes et perpétuent l’invisibilisation de travailleurs et travailleuses dont on a pourtant vanté la contribution « essentielle » au cours des derniers mois.

* Cosignataires : Eric Shragge, président du conseil d’administration du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants ; David Mandel, membre du comité intersyndical de Québec solidaire ; Jill Hanley, directrice scientifique de l’Institut universitaire SHERPA et professeure titulaire à l’École de travail social McGill ; Jorge Frozzini, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en communication interculturelle et technologies de gestion en contexte pluraliste et professeur agrégé à l’UQAC ; Yanick Noiseux, chercheur principal au Groupe de recherche interuniversitaire et interdisciplinaire sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS) et professeur agrégé à l’Université de Montréal ; Coalition contre le travail précaire (PINAY, CTI, Association des travailleurs et travailleuses temporaires d’agence de placement, Association des travailleurs et travailleuses migrants du Québec, Centre communautaire des femmes Sud-Asiatiques, India Civil Watch-Montréal et Mexicain.e.s uni.e.s pour la régularisation)

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