Partout dans le monde, on s’inquiète de la prolifération des fausses nouvelles. Cette série donne la parole à des spécialistes de plusieurs pays pour faire la lumière sur cet enjeu qui semble menacer la démocratie. Ce dossier a été préparé par Jean-Philippe Warren, titulaire de la Chaire d’études sur le Québec à l’Université Concordia.

Jean-Philippe Warren : La désinformation n’est pas un phénomène nouveau. Qu’est-ce qui est différent aujourd’hui ?

Kate Starbird : La connectivité mondiale. Aujourd’hui, tout le monde peut participer à la conversation de n’importe qui, n’importe où dans le monde.

D’abord, cela signifie que l’échelle de la désinformation est potentiellement plus grande. Ensuite, cela signifie que des personnes plus nombreuses et de différents milieux peuvent participer à l’effort de désinformation.

En ligne, il devient donc vraiment difficile de retracer l’origine d’un contenu. Il est de plus en plus difficile d’authentifier l’information produite, et donc de vérifier si quelque chose est vrai ou non.

Ce n’est pas tout. D’autres éléments pourraient être soulignés. Mais je pense qu’une grande partie de notre vulnérabilité à la désinformation se situe à l’intersection de la technologie et du comportement humain.

Il semble que la droite américaine soit plus affectée par l’épidémie de fausses nouvelles que la gauche. Est-ce bien le cas ?

En ce moment, aux États-Unis, il semble en effet que la droite politique soit plus vulnérable aux théories conspirationnistes que la gauche politique. Les personnes qui sont devenues des figures centrales des théories conspirationnistes appartiennent souvent, en ce moment, au Parti républicain.

Néanmoins, si nous examinons l’histoire des États-Unis, je ne suis pas sûr que ce soit toujours vrai. Nous connaissons plusieurs cas historiques où des personnes d’extrême gauche et d’extrême droite ont été également vulnérables à la désinformation.

Pour moi, la grande différence, ce n’est pas que les personnes qui se trouvent à l’extrémité du spectre politique sont plus ou moins vulnérables à la désinformation. La différence, c’est qu’en ce moment, nous voyons beaucoup d’idées conspirationnistes passer par le centre droit aux États-Unis et influencer des personnes politiques connues pour leurs positions plus centristes. Ou peut-être est-ce que c’est l’extrême droite qui est en train de dériver vers le centre droit, et vice versa ?

Toujours est-il que, pour moi, c’est cela qui est le plus préoccupant. Le plus préoccupant, ce n’est pas forcément le fait que des individus adhèrent aux théories conspirationnistes. C’est le fait que des dirigeants reprennent la pensée conspirationniste, peut-être parce qu’ils commencent à y croire, mais aussi parce qu’ils comprennent que cela favorise leur ascension politique. Pour maintenir leur pouvoir, ils alimentent cette dynamique [de désinformation]. Cela me semble problématique.

D’autres facteurs sont-ils en jeu ?

Absolument. Les médias sociaux jouent un rôle certain. Ils permettent à des communautés virtuelles de construire des récits conspirationnistes efficaces. Ils permettent aux masses de trouver les récits les plus crédibles et les plus pertinents. Et ensuite, les foules en ligne sont capables de communiquer – via ces plateformes – avec les élites (les acteurs politiques) qui peuvent capter ces messages et les utiliser stratégiquement.

Nous avons également aux États-Unis des émissions sur le câble et à la radio qui ne font que diffuser des théories de conspiration à longueur de journée. Il y a notamment une station, Fox News, qu’une grande partie de notre population regarde, non seulement une heure par jour, mais de nombreuses heures par jour. Ces émissions, ainsi que beaucoup d’autres, en particulier celles du soir, ne font que diffuser des théories conspirationnistes.

Comment voyez-vous l’avenir de la désinformation aux États-Unis ?

Je ne sais pas quelle forme la désinformation va prendre dans l’avenir, mais j’ai entendu des pistes d’analyse intéressantes à ce sujet. J’ai donné une conférence dans une classe la semaine dernière, et un étudiant a suggéré que les théories conspirationnistes sont populaires non seulement parce qu’elles sont plausibles, mais aussi parce qu’elles sont intéressantes.

En effet, la toile repose sur une économie d’intention : pour qu’une chose devienne virale, il faut qu’elle soit intrigante. Or, les théories conspirationnistes sont intrigantes. Il y a ainsi quelque chose dans notre environnement moderne de l’information qui augmente la production de théories conspirationnistes, toutes fausses soient-elles.

On peut faire l’hypothèse que les masses de personnes branchées sur la toile peuvent maintenant participer à la construction de récits conspirationnistes. Elles peuvent déterminer lesquels sont les plus intéressants et les plus plausibles, et donc lesquels vont devenir viraux. Elles produisent de manière participative [crowd-sourcing] non pas de l’information, mais de la désinformation.

Un point positif pour finir ?

Tout ce débat nous permet de reconnaître à nouveau la capacité créative de l’humanité. Nous, les humains, sommes vraiment bons dans ce que nous faisons. Le crowd-sourcing fonctionne, même s’il s’agit de la création d’une illusion de masse !

Demain : Éviter d’être aspiré par le trou noir des fausses nouvelles

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion