Partout dans le monde, on s’inquiète de la prolifération des fausses nouvelles. Cette série donne la parole à des spécialistes de plusieurs pays pour faire la lumière sur cet enjeu qui semble menacer la démocratie. Ce dossier a été préparé par Jean-Philippe Warren, titulaire de la Chaire d’études sur le Québec à l’Université Concordia.

Jean-Philippe Warren : Que pensez-vous de l’opinion courante selon laquelle la jeune génération ne se soucie tout simplement pas de l’exactitude de ce qu’elle trouve en ligne ?

Tanya Notley : J’ai étudié, avec des collègues, la consommation de nouvelles des jeunes australiens, âgés de 8 à 16 ans. L’une des questions que nous avons abordées est la suivante : lorsque les jeunes lisent des informations en ligne, quelles mesures prennent-ils pour vérifier la qualité de ces informations ?

Nous avons posé à des jeunes une batterie de questions afin de comparer leurs réponses à celles d’Australiens adultes. Ce que nous avons constaté, c’est que, dans l’ensemble, les jeunes de 8 à 16 ans déclarent vérifier l’information qu’ils consomment beaucoup plus que les adultes.

Pour ne citer qu’un exemple, nous avons demandé aux jeunes si, au cours des 12 derniers mois, ils avaient vérifié un certain nombre de sources d’information quand ils suspectaient qu’une nouvelle était inexacte ; 27 % ont répondu qu’ils le faisaient souvent ou parfois, 33 % qu’ils le faisaient occasionnellement et 39 % qu’ils ne le faisaient jamais. Lorsque la même question a été posée aux adultes, 64 % ont répondu qu’ils ne le faisaient jamais.

Dans quelle mesure pensez-vous que la jeune génération est consciente des biais des médias ?

Notre étude a cherché à savoir si les jeunes étaient conscients des biais dans les contenus d’information provenant des médias d’information traditionnels. La réponse est « oui ».

Par exemple, environ 40 % des jeunes âgés de 8 à 16 ans pensent que les hommes et les femmes sont traités différemment par les médias d’information. Une proportion un peu moins grande estime que les personnes issues de milieux culturels minoritaires sont traitées différemment.

Comment les médias australiens peuvent-ils être plus en phase avec les attentes et les valeurs de la jeune génération ?

Sans originalité, les jeunes perçoivent surtout les préjugés des médias quand ces préjugés concernent les jeunes eux-mêmes. Deux tiers des jeunes disent que les médias n’ont aucune idée de ce qu’est leur vie.

Les médias d’information en Australie, comme ailleurs dans le monde, j’en suis sûr, aiment mettre en scène des personnes « ordinaires » afin d’illustrer leurs nouvelles. Parfois, une jeune personne sera photographiée en compagnie de sa famille afin de représenter tel ou tel sujet. Mais on ne parle jamais aux jeunes. Leur voix n’est jamais présente dans le contenu des nouvelles. Je pense que les jeunes sont sensibles à cette exclusion.

La chose la plus simple que les organisations médiatiques puissent faire pour développer une relation plus riche avec les jeunes, c’est de les inclure dans leurs reportages et d’aborder plus souvent les questions qui les touchent le plus.

De plus en plus de gens semblent préoccupés par l’éducation aux médias. En Australie, va-t-on dans la bonne direction ?

L’éducation à l’information consiste à comprendre les lois et règlements relatifs aux médias, à fournir des compétences techniques et à développer la capacité des citoyens à s’engager de manière critique dans leur environnement médiatique. En ce moment, on peut dire que l’éducation aux médias n’est pas au niveau où elle devrait être en Australie.

Pourtant, nos démocraties sont en jeu. Si la perte de confiance dans les institutions médiatiques s’accentue, nos démocraties vont devoir faire face à de sérieux problèmes.

Je pense qu’il est vraiment important que nous reconnaissions que l’éducation aux médias a un rôle à jouer pour assurer le devenir des démocraties. Bien sûr, ce n’est qu’une solution parmi d’autres pour lutter contre la désinformation. Il n’existe pas de solution unique pour résoudre l’énorme problème de la désinformation. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas agir. Si nous acceptons que les médias, y compris les médias d’information, représentent un aspect essentiel de nos vies, nous devons accepter d’intégrer l’éducation aux médias à tous les échelons de notre système d’éducation.

À lire demain : La production collective du délire de masse aux États-Unis

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