J’aimerais qu’on se parle de la folie de la première vague. Vous rappelez-vous quand on nous suggérait d’éviter de péter dans les lieux publics ? Bon, ça relevait pas mal plus du fait divers que d’une recommandation en bonne et due forme de la Santé publique. Quand même, c’est là qu’on était.

Plusieurs hommes avaient même choisi de raser leur barbe pour éviter de se contaminer avec le virus. L’argent liquide était proscrit dans les commerces. On désinfectait notre épicerie de fond en comble au savon à vaisselle et on décontaminait les surfaces et les poignées de porte au Lysol. On nous disait de fuir le carton comme la peste et de laisser nos vêtements aérer quelques heures à l’entrée une fois revenu de l’épicerie.

Nos téléphones et ordinateurs étaient à la fois outils de travail, engins de détente et nids de bactéries. La menace était partout, mais surtout, sournoise.

Dans le monde, des hommes en combinaison avaient pour mission de désinfecter l’espace public à grands coups de nuages fumigènes et des drones ramenaient à l’ordre les citoyens récalcitrants qui avaient omis de porter le masque à l’extérieur.

Des images impressionnantes qui n’ont pas manqué de marquer nos esprits. Il faut le reconnaître : on a joué sur la peur. C’est comme ça qu’on a construit le branding de la pandémie. Même en ne sortant plus de chez nous, on avait l’impression que la COVID-19 allait réussir à se frayer un chemin jusqu’à notre lit. À un moment de la crise, les chaînes de nouvelles en continu semblaient avoir pigé directement dans la trame sonore du film 2012 pour nous présenter l’état de la situation dans les hôpitaux.

Soudain, l'été

Et puis, comme ça, il y a eu… l’été. Comment sommes-nous passés de climat de terreur à relâchement généralisé de la population en quelques semaines ? Mon cerveau travaille encore à rationaliser tout ça.

Il a bien fallu qu’on réalise par nous-mêmes qu’on nous en avait demandé trop. Beaucoup trop. Et pour rien. Parce que c’est ailleurs que nous aurions dû déployer nos efforts. Dans le port du masque, par exemple. Je suis curieux : comment avez-vous su qu’on devait cesser de désinfecter notre épicerie ? À partir de quel moment vous êtes-vous senti nono de frotter votre pot de Cheez Whiz en apercevant votre mine exténuée dans le reflet du miroir de la salle de bain ? Combien de temps encore auriez-vous adhéré aux recommandations de la première vague si un ami ne vous avait pas dit : « Hey, c’est bon. Je pense que tu peux relaxer sur le frottage de concombre » ?

D’abord, on s’est sentis nonos. Ensuite, on a dû déduire. Déduire. Mine de rien, c’est ce qu’on est amenés à faire depuis le début de la pandémie. Parce que personne ne viendra nous prendre par la main pour nous dire que la boîte en carton d’Amazon Prime ne nous tuera pas, finalement. On tranche en fonction de la vulgarisation scientifique qui nous accommode le mieux. Il y a un terme (anglophone) pour ça : cherry picking. J’ai horreur du cherry picking. On l’associe souvent à la pensée conspirationniste, mais il faut bien admettre qu’on nous a un peu poussés vers ça dans la dernière année.

En nous déconfinant l’été passé, on a érigé une liste des activités qui étaient permises sans pour autant nous transmettre le niveau de risque qui leur était associé. Il a fallu déduire par nous-mêmes.

Quel avis d’expert m’arrange le mieux ? Celui qui prescrit la prudence en recommandant d’éviter les salles à manger ? Ou l’autre qui me donne le feu vert pour faire tout ce que je veux ?

Le discours officiel nous conduit malgré nous à faire un peu de pseudoscience. Pour preuve : je m’explique très mal comment on peut autoriser 250 personnes à se rassembler dans les lieux de culte et laisser les salles de gym ouvertes au début d’une troisième vague alors que les variants, plus virulents et voraces, sèment actuellement le chaos en Ontario et en France. Ça me fâche. Je trouve la nonchalance du DHoracio Arruda inquiétante. Et que dire de François Legault qui nous assurait encore la semaine dernière que la situation était sous contrôle ? Irresponsable. Cette volte-face, qui survient 24 heures après qu'ils ont dit qu’ils ne reculeraient pas, était tristement prévisible, voire caricaturale.

Mais qu’en sais-je ? Pourquoi suis-je en colère ? Le directeur de la Santé publique connaît ça mieux que moi. Je ne suis pas épidémiologiste. Mais si les personnes responsables de la santé de mes parents se confondent en incohérences et semblent vouloir aller à l’encontre des avis scientifiques, je tombe dans le cherry picking. Pas le choix. Je dois trancher. Déduire. N’en faire qu’à ma tête.

En un an, nous sommes passés de « désinfectez votre épicerie et faites aérer vos vêtements dans le portique » à « vous pouvez participer à un rassemblement de 250 personnes au commencement d’une troisième vague potentiellement plus virulente que les deux autres ». Quel signal envoie-t-on à la population ? Comment prendre cette troisième vague au sérieux ?

Depuis des mois, les experts du Canada et du Québec appellent à la prudence. Ces variants, on a eu le temps en masse de les voir venir. Est-il normal que je me sente un peu nono de préférer tendre l’oreille au DGaston De Serres de l’Institut national de santé publique du Québec qui juge les mesures actuelles inadéquates ? Est-ce que ça fait de moi un pseudoscientifique si j’accorde de la crédibilité au Collège des médecins, dont l’avis n’est pas en phase avec la position du gouvernement ? Et l’insouciance du DArruda détonne tellement du bilan quotidien du journaliste Aaron Derfel de la Montreal Gazette qu’elle pourrait le faire passer pour le plus grand des hypocondriaques. Pourtant, son travail est remarquable. Rigoureux. Dois-je cesser de le suivre assidûment ?

Je me dis que la montre des gens qui ne se fient qu’aux points de presse à la télé n’affiche probablement jamais la même heure que la mienne.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion