En réponse au texte d’Eric Montigny associant Éric Duhaime au mouvement populiste, « Faire le choix de devenir un populiste », publié le 28 mars

Dans son analyse publiée en ces pages et intitulée « Faire le choix de devenir un populiste », le professeur Eric Montigny fait abstraction des bouleversements sociaux entraînés par la pandémie et illustre sans même s’en rendre compte la pertinence de la rhétorique populiste d’Éric Duhaime.

Tâchons maintenant d’y voir clair dans l’accusation de populisme portée contre Duhaime par son ancien collègue de l’Action démocratique du Québec (ADQ), maintenant professeur de sciences politiques. Il importe avant tout de définir ce qu’est le « populisme ». Si l’on en croit Montigny, qui parle du choix de « devenir un populiste » comme de celui de contracter la lèpre, ou Patrick Lagacé, qui crache sur ce mot « puant », le populisme est une maladie pire que la COVID-19.

Or, l’étymologie nous apprend plutôt que le mot vient du latin « populus » et du suffixe « isme ». Le populisme est donc une théorie qui privilégie le peuple, comme l’humanisme privilégie l’humain, le libéralisme, la liberté, etc.

En démocratie, qui signifie littéralement « le pouvoir du peuple », privilégier celui-ci serait-il devenu une tare innommable ? Dans son acception plus générale, le mot désigne une conception du politique qui oppose le « peuple » à « l’élite » politique, économique ou médiatique.

Plutôt que d’asseoir mon analyse sur le postulat que tout populisme est condamnable, comme le fait Montigny, j’expliquerai aux lecteurs comment s’est creusé l’actuel fossé entre le peuple et ses élites. Pour ce faire, employons la même grille d’analyse que celle du professeur de « science po », soit celle de Jan Werner Müller qui identifie trois critères communs à tous les « populismes ».

Le populisme s’oppose à la démocratie libérale et au pluralisme

Ainsi la « rhétorique populiste » de Duhaime s’opposerait à la démocratie libérale et au pluralisme. Mais de quelle démocratie libérale est-il question ici ? Celle qui prévalait en 2018 lors de l’élection de la CAQ ? Ou celle qui est sur pause depuis plus d’un an, qui donne des pouvoirs extraordinaires à un seul homme qui gouverne sans opposition et par décrets sans cesse renouvelés ?

Quant au pluralisme, qui constituerait le fondement de la démocratie, Montigny doit reconnaître que, dans la dernière année, le pluralisme d’idées gît au cimetière des bonnes intentions, le nouveau sanitarisme d’État ayant tout balayé sur son passage.

Pour s’en convaincre, j’invite le professeur à demander aux téméraires qui ont osé formuler quelque critique des mesures de restrictions gouvernementales, j’ai nommé les covidiots, touristatas, complotistes, édentés et autres pissous, ce qu’ils pensent du pluralisme d’idées au temps de la COVID-19.

Le populisme s’oppose au système en place

Montigny reconnaît chez Duhaime une seconde caractéristique des discours populistes : son orientation antisystème. L’économie mondialisée, la valse des subventions, l’État obèse, les médias traditionnels seraient notamment les cibles de l’ex-animateur polémiste. Sur le fond, je lui donne raison. L’aspirant-chef conservateur s’en prend au système en place, et tout particulièrement à la représentation parlementaire, qu’il dit souffrir d’un « déficit démocratique ».

Duhaime rappelle de bon droit que le « peuple » veut se faire entendre, qu’il existe une opposition populaire à la gestion sanitaire de la CAQ, mais que celle-ci n’est aucunement représentée à l’Assemblée nationale.

Qui peut lui reprocher d’affirmer qu’aucun des 125 députés que compte le Salon bleu ne porte la voix des opposants ? Qui peut seulement le contredire à ce sujet ?

Un sondage CROP récent révélait par ailleurs que 46 % des Québécois estimaient que les « restrictions dues à la COVID-19 ont assez duré [et qu’] il est temps que l’on retrouve notre liberté ». Le système de représentation démocratique représente-t-il ces gens ? Poser la question, c’est y répondre, et tout démocrate, que cela lui plaise ou non, doit en savoir gré au politicien conservateur.

Le populisme s’en prend aux contre-pouvoirs

C’est à bon droit que Duhaime pose la question de l’indépendance des médias québécois traditionnels. Ceux-ci ont dû s’adapter à la révolution de l’information propulsée par l’internet. Fragilisés par la perte de revenus publicitaires au profit des plateformes en ligne, les médias traditionnels se sont tournés vers les – gros ? – gouvernements pour survivre, de sorte qu’il est exact d’affirmer que les médias traditionnels sont subventionnés. La pandémie a exacerbé le phénomène et distribué les subventions salariales fédérales ; le gouvernement Legault a suppléé la perte d’annonceurs par l’achat de publicités sanitaires et gouvernementales. C’est « l’alerte rouge ! » chez ceux qui croient en l’importance de l’indépendance des médias dans une démocratie en santé.

Nobles en apparence, présentées comme nécessaires pour sauver des institutions établies et lutter contre la désinformation en ligne, les subventions aux médias ont porté un dur coup à l’un des piliers de la démocratie libérale : l’indépendance de la presse. Résultat : les médias traditionnels embrassent l’action gouvernementale et se montrent peu critiques à son endroit. Quelqu’un s’en étonne ?

Bref, les contre-pouvoirs n’en sont plus. Ils se sont plutôt transformés en haut-parleurs du pouvoir, selon le vieil – mais ô combien vrai – adage « on ne mord pas la main qui nous nourrit ».

Montigny a-t-il seulement conscience de sa propre rhétorique ? Réalise-t-il qu’en reprochant à Duhaime de s’en prendre au système et de soulever quelque critique à son endroit pour ensuite lui accoler l’étiquette infâme de « populiste », il se fait l’agent utile de ce système ? Comprend-il qu’il cautionne ainsi « l’infaillibilité systémique », cette idée saugrenue au possible selon laquelle le système serait fondamentalement bon et qu’il ne saurait souffrir de contestation ?

Si l’on en croit le professeur, il faudrait épouser et embrasser le système sous peine d’excommunication de la sphère des bien-pensants. Et c’est ainsi que des séminaires et des analyses politiques publiées dans les journaux constituent autant de petits coups de pelle qui creusent davantage le fossé entre le peuple et ses élites.

Lisez le texte « Faire le choix de devenir un populiste »

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