La pratique des « indulgences » était courante chez les riches et les puissants au Moyen Âge en Europe. Moyennant le versement de sommes importantes à l’Église, un pécheur pouvait s’assurer une place au paradis et continuer à commettre des péchés à sa guise ici-bas.

Ce fut un marché plutôt avantageux tant que ça a duré. Mais la fête a pris fin en 1517, lorsque Martin Luther a cloué ses thèses sur la porte d’une église et que la réforme a commencé.

Les riches et les puissants d’aujourd’hui – à savoir les deux plus grandes entreprises de l’histoire de l’humanité, Facebook et Google – tentent de faire revivre la pratique des indulgences 500 ans après son apogée.

Les deux géants du web ont profité de leur pouvoir en tant que garde-barrière de l’internet pour étouffer les médias d’information – en particulier les médias d’information locaux – dans les démocraties du monde entier, y compris au Canada.

Partout au pays, Facebook et Google font main basse sur le contenu créé par les journalistes et le distribuent sans compensation. Pire encore, ils abusent de leur pouvoir de marché, de leur technologie exclusive et de leur contrôle des algorithmes pour se réserver la part du lion des revenus publicitaires en ligne ; au Canada, les deux sociétés engrangent 80 % – une part énorme – de ces revenus.

Le fait est que rapporter de vraies nouvelles (contrairement aux fausses nouvelles que Facebook et Google ont souvent disséminées – mais bon, ça, c’est une autre histoire) coûte cher. En empêchant les médias d’accéder aux revenus publicitaires et en faisant circuler des nouvelles sans compenser ceux qui les génèrent, les géants de la technologie privent les entreprises de la source de revenus qui leur permet d’opérer. Les résultats ont été désastreux : la création de vastes « déserts d’informations » sans médias d’information locaux aux États-Unis et, selon le Local News Research Project, la fermeture de plus de 300 journaux depuis 2008 ici au Canada.

L’appétit vorace et effréné des géants du web a provoqué une défaillance sans précédent du marché. Les conséquences sont désastreuses. Des reportages locaux honnêtes sont essentiels à la santé d’une démocratie.

Mais enfin, les gouvernements démocratiques s’engagent dans la lutte. En Europe, et surtout en Australie, les gouvernements et les législateurs s’opposent aux monopoles et défendent les informations locales, en adoptant de nouvelles règles strictes qui obligent Google et Facebook à conclure des accords de licence avec les médias d’information et à négocier le partage des recettes publicitaires en ligne.

Le ministre canadien du Patrimoine, Steven Guilbeault, s’est engagé à « [être] à l’avant-garde de cette bataille » et a promis de légiférer ce printemps en s’inspirant du modèle australien.

À l’échelle internationale, de plus en plus d’efforts visent à limiter leurs pratiques monopolistiques, et cela a semé la panique chez Google et Facebook. Dans un effort désespéré pour freiner la législation australienne, les deux sociétés ont menacé de se retirer du pays. Comme on pouvait s’y attendre, cette tactique de chantage peu subtile a provoqué une énorme réaction négative en Australie. En fait, cette stratégie maladroite a fait le jeu du gouvernement, en renforçant sa détermination. Ceci a provoqué un repli épique des entreprises. Les deux géants humiliés négocient à présent avec les médias d’information du pays, grâce au pouvoir coercitif de la législation gouvernementale.

Maintenant que le Canada est sur le point de prendre la même voie que l’Australie, Facebook et Google ont opté pour une nouvelle stratégie : les Indulgences 2.0.

Par exemple, Facebook a annoncé la création d’un fonds de 8 millions de dollars (sur trois ans) pour les journalistes canadiens. Mais, pour une entreprise qui a déclaré des revenus de plus de 105 milliards de dollars canadiens en 2020 (en hausse de 21 % par rapport à 2019), cet « engagement » ne représente qu’une erreur d’arrondi.

Ce qui est le plus répréhensible dans cette manœuvre, c’est sa transparence. Acculé au mur, Facebook refuse toujours d’admettre que ses pratiques sont destructrices et fermées à la réforme. L’entreprise est plutôt prête à payer une version « XXIe siècle » d’une « indulgence » pour continuer à profiter d’un système brisé qui ne fonctionne pour personne – ni pour les citoyens, ni pour les institutions démocratiques, ni pour les journalistes, ni pour l’écosystème de l’information – c’est-à-dire sauf Facebook et Google.

À leurs débuts, ces entreprises étaient des start-up combatives qui ont perturbé les structures de richesse et de pouvoir établies. Maintenant, ce sont Facebook et Google qui représentent la richesse et le pouvoir. Et ils ont cruellement besoin d’être perturbés à leur tour.

Le mois dernier, le ministre Guilbeault a bien résumé la situation : « [Le comportement de Google et de Facebook] prouve tout simplement qu’ils n’ont pas été réglementés pendant trop longtemps. Et cela doit changer. »

Que la réforme en ligne commence !

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