Les féminicides des dernières semaines nous rappellent collectivement à quel point la violence conjugale détruit des vies et se déploie dans différentes espaces.

Qu’en est-il des milieux de travail ? Le projet de loi 59 modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (SST) propose de reconnaître une obligation pour l’employeur de protéger la victime de violence conjugale alors que celle-ci se trouve sur les lieux de travail.

Ce faisant, le Québec emboîte le pas à plusieurs juridictions canadiennes où des féminicides médiatisés sur les lieux de travail ont mené à l’adoption d’une disposition semblable. En effet, lorsqu’une relation abusive prend fin, le partenaire contrôlant ne sait peut-être pas où habite son ex-conjointe, mais il y a de fortes chances qu’il sache où elle travaille.

Le milieu de travail est souvent le lieu le plus accessible à l’ex-partenaire violent pour reprendre contact avec la victime.

Certes, il serait louable que le Québec agisse avant qu’une femme ne soit assassinée sur les lieux de travail, faute d’obligation de la part de l’employeur de lui offrir des mesures pouvant minimiser son exposition au risque (modification d’horaire, accompagnement dans le stationnement, contrôle des allées et venues dans l’édifice, etc.).

Cela étant, il est facile de se dire contre la violence conjugale — qui est pour ? — sans nécessairement être engagé à mettre en application des actions pour s’y opposer. Là où le bât blesse, c’est ce passage entre une opposition de principe et une mise en œuvre concrète.

Pour véritablement mobiliser les milieux de travail dans la prévention de la violence conjugale, d’autres mesures doivent s’ajouter à la modification législative proposée.

La violence conjugale est un phénomène complexe enraciné dans les rapports de genre inégaux. La présence de harcèlement de la part du conjoint au cours de la relation, ou après la rupture, est connue comme un facteur de risque pour le féminicide. L’intrusion de la violence conjugale au travail s’insère dans une escalade de violence pouvant mener jusqu’à la mort, et est considérée comme un signe de danger imminent. Il nous paraît inconcevable que les milieux de travail continuent de la considérer comme une affaire privée.

Toutefois, dans beaucoup de cas, la violence conjugale se traduit par des souffrances autres que la mort. Le partenaire violent empêche la victime de dormir ou de se rendre au travail, sabote les arrangements de garde des enfants, envoie une quantité excessive de messages ou encore se sert de la géolocalisation de son cellulaire pour la suivre.

Le cycle de la violence (tension, agression, justification, réconciliation) fait que le partenaire violent met en échec toutes les réactions de la victime pour s’en éloigner. Les femmes ont honte et hésitent à dénoncer leur situation. Si elles ont le courage d’en parler au travail, le plus souvent c’est à une collègue qu’elles vont se confier.

Par conséquent, il est crucial de sensibiliser toutes les personnes dans les milieux de travail à la violence conjugale pour s’assurer d’une réponse et d’une prise en charge appropriées en cas de signalement. L’heure est venue de briser les stigmates tenaces qui entourent cette violence.

C’est pourquoi une politique de prévention de la violence conjugale doit être obligatoire dans tous les milieux de travail, incluant un programme de sensibilisation et des liens de collaboration avec des ressources spécialisées en matière de violence conjugale : maisons d’hébergement, centres de femmes, centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC).

Si on veut vraiment que « la violence faite aux femmes, ça s’arrête là », il est temps de multiplier les mesures de prévention et d’outiller les personnes qui en sont témoins afin qu’elles puissent intervenir, ne serait-ce qu’en offrant une écoute sympathique, respectueuse du rythme de la victime. Les milieux de travail sont un lieu privilégié à mobiliser à cette fin. Ne ratons pas l’occasion !

* Cosignataires : Isabelle Fortin, directrice générale du CAVAC Côte-Nord, membre du Réseau québécois des Centres d’aide aux victimes d’actes criminels ; Nadia Morissette, agente en condition féminine au Centre Femmes aux 4 Vents, Sept-Îles, membre de l’R des centres de femmes du Québec ; Hélène Millier, coordonnatrice de la Maison des femmes de Baie-Comeau, membre du Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale

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