L’auteur s’adresse au premier ministre François Legault

Cher François Legault, il faut qu’on se parle de votre couvre-feu. D’abord, sachez que j’applique les consignes avec une rigueur qui m’a valu des moqueries toute l’année. Je n’ai revu personne depuis un an. Je pratique la zone rouge vif en tout temps, même l’été.

C’est ainsi que je parviens à me convaincre que j’ai encore un peu de contrôle sur mon existence depuis un an. J’anticipe. J’observe la situation dans les pays voisins. J’écoute la Dre Joanne Liu, les épidémiologistes, microbiologistes et infectiologues du monde entier. Je n’ai pas d’attente, pas de déception. Je sais à quoi m’en tenir. Jusqu’ici, je tenais bon.

Mais depuis que ce couvre-feu est en vigueur, j’étouffe. Je n’arrive plus à fonctionner normalement, même avec les assouplissements annoncés hier. Impossible de me concentrer. L’anxiété a repris le dessus sur ma personne. Une colère m’habite en permanence. J’ai des symptômes physiques. Je nourris tous les jours un besoin grandissant d’obtenir réparation et de récupérer le temps précieux qu’on m’a dérobé.

J’ai sondé mes abonnés sur Facebook pour me situer un peu mieux sur l’enjeu du couvre-feu. J’ai récolté quelque 300 réponses. La plupart admettaient pour la première fois depuis sa mise en place vivre une certaine détresse psychologique. Moi qui croyais être seul dans cette situation. Eux aussi, d’ailleurs, pensaient être marginaux. Ils se sont dits soulagés de pouvoir lire des dizaines de témoignages sous ma publication. Ils n’avaient jamais osé en parler de peur d’être affublés de l’étiquette conspirationniste.

Tous affirment d’abord adhérer fortement aux consignes depuis le début et prétendent que le couvre-feu est la mesure coercitive qui leur cause le plus de torts jusqu’à maintenant.

C’est suffocant. Je me sens comme un animal qu’on a placé dans un enclos et à qui on donne la permission de sortir quelques heures pour aller faire la queue devant les commerces.

Je ne me reconnais pas dans cet unique modèle de vie qui m’est actuellement proposé. Le patin à glace, le chalet et les skis de fond. Les trottoirs bondés. Le jogging urbain et la livraison de cabane à sucre à domicile. Ça ne le fait pas du tout. Pas pour moi. Si plusieurs y trouvent leur compte, tant mieux. J’espère qu’ils vont bien. Mais tout le monde ne s’épanouit pas de la même façon.

Moi, j’ai besoin de temps morose, de gris, de solitude, de calme plat, d’espace et de nuit.

Avec votre couvre-feu, j’ai perdu ce sentiment de contrôle sur ma vie. Je suis privé de la seule chose qui m’aide à continuer depuis le Jour 1 de la crise : les promenades en soirée. Ce sont elles qui m’ont sorti de la déprime au printemps dernier et qui m’ont permis de me reconnecter avec moi-même.

Quand le DHoracio Arruda a tenu à se montrer prudent quant à la reconduction du couvre-feu en point de presse la semaine dernière, il a évoqué qu’il pourrait être levé seulement à compter de l’été. Pardon ? Je m’excuse, mais je ne peux pas. L’espoir, celui qui me paraît le plus tangible à court terme, ce n’est pas le vaccin. C’est la première brise printanière en fin de soirée, c’est le parfum des lilas qui l’accompagne.

L’hiver est interminable. Un premier hiver où nous avons été confinés du premier au dernier flocon. C’est long. Tellement que j’oublie lentement chaque jour qui je suis. Ajoutez à ça une interdiction de prendre une bonne bouffée d’air quand les rues sont désertes et c’est l’enfer. Les Québécois ont dû attendre des mois avant de pouvoir bénéficier d’un vrai redoux avec des températures au-dessus du point de congélation. Le printemps se fait attendre bien plus férocement ici que n’importe où dans le monde où ils ont appliqué le couvre-feu. Ne nous enlevez pas l’espoir des premières brises printanières, de grâce. C’est à cela que nous nous accrochons.

Dans la dernière année, plusieurs vous ont adressé des lettres ouvertes pour réclamer plus de libertés malgré un virus mortel en circulation. Demandes auxquelles, à un moment ou un autre, vous avez accédé.

Ceux qui n’ont à peu près jamais dérogé aux règles depuis un an ont souvent accueilli vos assouplissements avec scepticisme et exaspération. Ils ont entre autres témoigné, complètement accablés, du relâchement généralisé de la population pendant la période estivale.

Mais que faites-vous de ceux dans ma situation qui ont vraiment mis leur vie sur pause depuis un an ? Vous n’avez jamais à nous supplier pour nous amener à respecter les consignes. Nous les suivons avec une discipline de fer. Même lorsque votre discours est laxiste et confus, nous allons au-devant des coups. Nous avons porté le masque des mois avant que son port ne soit rendu obligatoire dans les commerces. Nous avons reconnu la transmission par aérosols et les cas asymptomatiques bien avant que le DArruda ne le fasse lui-même et avons sans cesse appliqué dans nos quotidiens respectifs le principe de précaution au détriment de nos relations amicales et de notre vie sociale.

On n’a jamais exigé d’allègement de votre part. On ne cherche pas non plus à ce que nos efforts soient récompensés. On ne marche pas au mérite. On aimerait seulement, par-dessus tous les sacrifices que nous avons faits, ne pas en être punis. En criminalisant la nuit, vous nous dépouillez de la seule chose qu’il nous restait encore. Je croyais naïvement que nous avions une entente tacite : le jour, nous cédons notre place à qui voudra en profiter. La nuit, en revanche, nous appartient. C’est ainsi que nous parvenons à coexister et à survivre en temps de pandémie.

D’autant que vous nous privez des mécanismes d’adaptation que nous avons développés au tournant de la première vague. Votre couvre-feu nous fait violence, à nous comme à ceux en situation de précarité. Il est anxiogène et classiste. Il rend la lumière du jour exclusive à ceux qui ont les moyens d’en profiter et il exacerbe un sentiment de culpabilité chez d’autres qui souhaiteraient simplement s’aérer l’esprit.

Je vous trouve injuste. Vous semblez tenir pour acquis notre apport non négligeable dans l’adhésion des citoyens aux mesures sanitaires et vous en accordez toujours un peu plus aux impatients qui menacent de vous désobéir. Mais nous, quand pourrons-nous souffler ?

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