Il y a longtemps, quand j’étais encore dans la force de l’âge, une partie de mon corps ne levait plus comme il faut. Il ne s’agissait pas d’un refus total, mais plutôt d’une réponse faiblarde, d’une hésitation à mi-chemin. Évidemment, ma qualité de vie diminuait d’autant, et aussi celle de la personne avec qui je partageais mon quotidien, je le présume.

Que faire ? Consulter mon médecin, évidemment. Il m’a dit que je ne devrais pas avoir honte, que je n’étais pas le seul homme à qui cela arrivait et qu’il y avait des solutions relativement simples. Le seul bémol : la RAMQ ne rembourserait rien. Il m’a dirigé vers un chirurgien plasticien. Dans sa clinique, celui-ci m’a expliqué que l’intervention serait simple, rapide et sans risque. En effet, après quelques jours, le tout fonctionnait et j’étais de retour au travail.

Mes collègues, des bons Québécois et par conséquent curieux et peu gênés, m’ont demandé quelle maladie avait causé mon absence. Je leur ai répondu que j’avais subi une chirurgie plastique. En anticipant la question qui suivrait, j’ai prétendu que mes foufounes avaient eu besoin de raffermissement. Avec une gêne soudaine, ils ont décliné mon offre de leur montrer le résultat.

Vous comprendrez que l’intervention récente de Manon Massé, concernant les cliniques privées et notamment celles qui se spécialisent en chirurgie plastique, m’interpelle.

En mentionnant les fesses brésiliennes, Mme Massé déplorait le recours du gouvernement aux cliniques privées afin d’alléger les effets du délestage dans les hôpitaux. Dans le fond, elle exprimait le discours dominant au Québec, depuis la Révolution tranquille, selon lequel le secteur public, c’est bon, tandis que le privé, ce ne sont que des profiteurs.

En témoigne que, par la suite, elle a pressé le premier ministre de rapatrier le personnel des cliniques privées pour qu’il vienne prêter main-forte au réseau public.

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Perception erronée

La perception généralisée, comme quoi au Québec il y a un seul système de santé et que ce système est public, est erronée. La plupart des médecins, même dans les hôpitaux, et beaucoup d’autres professionnels de la santé travaillent dans le privé, même si leurs actes sont remboursés par la Régie. La plupart des soins offerts aux Québécois se situent dans leurs cabinets et cliniques.

Ce qui est public, ce sont avant tout les hôpitaux, les CLSC et une partie des CHSLD. Or, ce que vit ce réseau public depuis longtemps, ce sont un manque de lits dans les urgences, une pénurie chronique d’infirmières depuis les coupes mal avisées du gouvernement Bouchard et une sous-utilisation des salles d’opération qui met en péril la compétence de nos chirurgiens.

S’ajoute à tout ça une vétusté généralisée des infrastructures. Malgré la construction récente de quelques nouveaux hôpitaux, la pauvreté relative du système perdure, tout comme ses pratiques bureaucratiques, car les problèmes ne sont pas seulement une question de sous-financement.

La crise de la COVID-19 a accentué cette gestion défaillante de la santé, le comble étant le délestage qui a causé la création de nouvelles listes d’attente pour des examens et des interventions chirurgicales.

Nos médecins sont sous-utilisés. Nos infirmières épuisées quittent leur emploi et même leur profession. Des CHSLD ont mis la vie des aînés en péril. Également en 2020, cette tradition dérisoire qu’est la crise annuelle des urgences s’est manifestée en septembre, avant même le début de la vague annuelle d’influenza ou de la deuxième vague de COVID-19.

Ainsi, 50 ans après l’adoption au Québec de la Loi sur l’assurance hospitalisation, à la traîne des autres provinces, notre système de gestion centralisée des hôpitaux est devenu un échec. Nous sommes parmi les pays les plus riches au monde. Pourquoi acceptons-nous que, pour faire traiter des douleurs atroces dans un délai acceptable, pour éviter la mort, il faille débourser des dizaines de milliers de dollars pour une intervention chirurgicale au privé ou à l’étranger ? Combien d’années de crises récurrentes, de manque de soins et de décès pourtant évitables tolérerons-nous ?

Le transfert des cliniques privées et de leurs employés vers ce secteur public mal en point serait une erreur. Il serait plus intéressant de voir comment on peut décentraliser la gestion des institutions publiques à des corporations locales, en collaboration avec des cliniques privées s’il le faut. Cela permettrait des choix mieux adaptés aux besoins spécifiques de la population locale.

En attendant ce débat, vous êtes sans doute curieux de savoir comment mon corps se tient maintenant, 20 après mon incursion dans le privé. Or, mes paupières, tombantes dans le temps, tiennent bon. Ça fait que, avec mon cuir chevelu moins garni, j’ai l’air d’un vieillard éveillé.

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