Je l’ai rencontré en janvier 2016. Je commençais alors ma carrière de médecin. Notre clinique cherchait des patients intéressés à joindre un comité d’amélioration. Son nom a été suggéré.

« Guy Rocher ? ! Il a accepté de se joindre à votre petit comité ? », m’a demandé un collègue.

« Le fameux Guy Rocher ? Celui de la commission Parent ? C’est tout un honneur qu’il vous fait ! », se sont étonnés mes parents.

Je le confesse bien honnêtement, son nom ne me disait pas grand-chose. J’étais simplement contente de pouvoir travailler avec un patient de 92 ans. J’ai fait quelques recherches. Les articles étaient élogieux : « Les grands architectes du Québec moderne », « un homme en avant de son temps », le « père du Québec ».

Nous avons travaillé ensemble durant un an. Humble et discret, il surprenait par sa perspicacité et son analyse des forces en présence.

Ses interventions faisaient toujours grande impression au sein de l’équipe. Elles nous permettaient de penser notre démarche dans une perspective beaucoup plus large. Sans le savoir, j’étais initiée au regard sociologique.

Puis, le comité a terminé son mandat, et chacun est reparti de son côté.

Mais les rencontres m’avaient touchée. Nous avons continué à correspondre.

Nos racines

À l’été 2020, j’ai donné naissance à mon premier enfant. Je me suis mise à me soucier davantage de mes racines, de la transmission. J’ai alors instinctivement cherché à mieux comprendre cette histoire du Québec qui est la mienne. Le confinement automnal et l’anniversaire de la crise d’Octobre y étaient tout à fait propices.

L’histoire du Québec, je pensais la connaître. Mais cela me paraissait maintenant bien insuffisant. J’avais l’impression que je ne la connaissais qu’en noir et blanc. J’avais soudainement soif de la comprendre intimement, de la voir en couleur, en trois dimensions.

Alors, je me suis retrouvée à tout naturellement suivre l’évolution du Québec à travers le parcours de Guy Rocher. Je me suis mise à dévorer ses conférences et ses cours sur le web. J’ai lu sa biographie et regardé le dernier reportage de Radio-Canada diffusé en début d’année. J’ai commandé son Magnum Opus, Introduction à la sociologie générale, que j’ai parcouru avec plaisir.

Quand on suit sa réflexion au sein de la commission Parent, on comprend alors tout le courage que représentait le choix de la laïcité, de la déconfessionnalisation des écoles et de la création du ministère de l’Éducation.

Quand on comprend son travail visant la création des cégeps, on est touché par l’envie sincère de donner une meilleure chance à tous, peu importe leurs origines et leurs contextes. Quand on s’intéresse à ses interventions auprès du gouvernement fédéral durant la crise d’Octobre, on retrouve une souveraineté québécoise vivante, pacifique, et incarnée dans l’action. Quand on examine sa participation à l’élaboration de la Charte de la langue française, on découvre la force d’un peuple qui cherche à défendre ce qui lui est cher.

J’en suis venue personnellement à la conclusion que son parcours incarne la réalité de la société québécoise dans ce qu’elle a de plus beau et d’unique.

La force de cet homme, qui lui a permis de prendre part aux grands enjeux tout au long de sa vie et de les influencer malgré des oppositions féroces, est fascinante. Force encore plus exceptionnelle de par son statut de sociologue qui aurait pu naturellement se contenter d’une posture d’observation réflexive. Et tout ceci, en incarnant le respect et l’écoute qui suscitent l’admiration de tous. Le prix de la laïcité Guy-Rocher créé le 6 mars dernier par le gouvernement du Québec est, en ce sens, un hommage hautement mérité.

Mais ce qui marque d’abord et avant tout quand on rencontre ce sage de 96 ans, c’est son esprit libre et curieux, son regard pétillant et malicieux. Le parallèle ne m’a pas quittée depuis, et ma génération comprendra certainement : j’ai rencontré le professeur Dumbledore.

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