Quand on s’intéresse aux idéologies racialistes qui ont encouragé et justifié le colonialisme britannique, il est relativement facile de se faire une idée sur cette question. Traditionnellement, la couronne britannique a toujours adoré la diversité lorsqu’elle était folklorique et venait de territoires lointains où on jurait fidélité à la reine sans l’avoir jamais vue. Sinon, l’histoire nous enseigne que cette famille royale n’était jamais très loin de ces gens qui parlaient d’hérédité de l’intelligence et de hiérarchie des « races ».

Quand on y pense, ces nobles qui arrivent au monde en 2021 avec autant de privilèges, gracieuseté de leur génétique, sont l’incarnation même des idéologies qui hiérarchisent les sangs. Puisque je ne veux pas commenter directement cette chicane de gens riches et célèbres, permettez-moi quand même de revenir sur la partie de cette saga concernant la couleur du bébé et qui m’a particulièrement interpellé. Je voulais, en effet, saisir cette occasion pour vous parler de quelques personnages qui témoignent indirectement de l’aversion de cette famille royale pour le métissage.

Quand je pense aux idéologues du racisme proches de la couronne britannique, le premier qui me vient en tête est Francis Galton (1822-1911), le père de l’eugénisme.

Galton, c’est celui qui jettera un voile opaque sur l’œuvre de son cousin, Charles Darwin, en devenant la figure de proue du mouvement eugéniste. Pourquoi ne pas donner un coup de main à la nature en contrôlant la reproduction des plus faibles ? Telle était la façon eugéniste de récupérer idéologiquement et honteusement la théorie de l’évolution par la sélection naturelle. Plus pragmatiques que les darwinistes sociaux, les eugénistes conseilleront aux gouvernements rien de moins que stériliser les plus vulnérables, ou alors les empêcher de polluer le patrimoine génétique des élites en procréant avec les classes supérieures.

PHOTO KIRSTY WIGGLESWORTH, ASSOCIATED PRESS

Le palais de Buckingham, à Londres

Quand je pense aux idéologues du racisme proches de la couronne britannique, je vois aussi Cyril Burt, qui était une figure incontournable de l’héritabilité de l’intelligence. Une idée que chérissait aussi Francis Galton, qui racontait que son génie lui venait de la même place que celui de son cousin Charles Darwin. Tous les deux avaient hérité leur clairvoyance de leur grand-père Erasmus Darwin, que les évolutionnistes connaissent très bien. On raconte que dans sa jeunesse, Cyril Burt (1883-1971) aurait assisté à des soirées familiales où Galton et d’autres penseurs des pseudosciences du racisme légitimaient les entreprises coloniales en prêchant la supériorité des sujets de la couronne britannique sur le reste de la planète.

Cette immersion dans ces théories racistes de l’époque victorienne a probablement influencé son histoire, car il deviendra, après ses études universitaires, l’un des psychologues dont les idées sur l’hérédité de l’intelligence dicteront des décennies de politiques scolaires discriminatoires en Grande-Bretagne. En effet, de 1909 à 1966, Burt, prolifique chercheur, publiera des articles portant sur des jumeaux monozygotes, essayant de démontrer que la génétique expliquait beaucoup plus l’intelligence que le milieu social et l’environnement familial. Il deviendra le psychologue scolaire attitré de la ville de Londres, professeur au University College de Londres et président de la British Psychological Society. C’est à sa mort, en 1971, que le monde scientifique découvrira que la grande majorité de ses vrais jumeaux, de ses collaborateurs, de ses assistants de recherche, et même certains cosignataires de ses articles, étaient inventés de toutes pièces.

Il avait sacrifié idéologiquement l’avenir de milliers de jeunes avec ce que certains considèrent comme la plus grande imposture scientifique du XXe siècle.

Pour respecter la règle de trois, il faut que je vous parle du cas d’Arthur Smith Woodward (1864-1944), qui nous rapproche un peu plus de la saga entourant la couleur de l’enfant du prince Harry et de Meghan Markle. Ce personnage est au centre d’une histoire qui démontre à quel point, pour une certaine élite intellectuelle de ce pays, juste le fait d’accepter une origine africaine du genre humain était insupportable. En 1899, l’avocat britannique passionné de paléontologie Charles Dawson a inventé de toutes pièces un fossile vieux de 500 000 ans d’âge avec une grande capacité crânienne : l’homme de Piltdown (du nom du village situé dans le Sussex et où le crâne a été trouvé). Comme cet humain venait de la toute-puissante Grande-Bretagne, il ne pouvait pas avoir un cerveau régulier. L’objectif de Dawson ? Prouver que le chaînon manquant entre l’humain et le singe venait de l’Angleterre et non de l’Afrique, comme le suggérait Darwin.

En effet, dans son bouquin intitulé La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, publié en 1871, le génial Darwin parlait déjà d’un ancêtre commun aux grands singes et à l’humain qui aurait certainement vécu en Afrique. Mais dans ce contexte social où la révolution industrielle battait son plein et les entreprises coloniales témoignaient aux quatre coins de la planète de la suprématie militaire européenne, l’idée que le plus vieux fossile humain trouvé en Europe soit british et pourvu d’une grande boîte crânienne était idéologiquement très significative.

Ce grand canular scientifique sera mis de l’avant par le respectable Arthur Smith Woodward, qui était conservateur au British Museum, et deviendra vérité intouchable. Ce n’est qu’en 1953, après la mort de Woodward, que la grosse arnaque sur fond de suprémacisme sera aussi démasquée. Le précieux fossile était un composite incluant un bout de crâne humain et une mandibule d’orang-outan. Les dents de cette trouvaille archéologique avaient été limées et l’ensemble vieilli par une technique de patinage digne des grands escrocs. Le célèbre et défunt paléontologue américain Stephen Jay Gould revient très largement sur cette saga dans son bouquin intitulé Le pouce du panda. Comme la grande majorité des scientifiques, Gould, qui se désole de cette tache dans la recherche sur nos origines, n’arrive pas à dire si la tricherie est l’œuvre d’une seule personne ou une escroquerie idéologique en bande organisée. Chose certaine, aujourd’hui, pour mieux raconter leur version de la création, ce mensonge historique est largement cité par les créationnistes lorsque vient le temps de rejeter la validité scientifique des fossiles humains.

Maintenant, quel est le lien entre Francis Galton, Cyril Burt, Arthur Smith Woodward et bien d’autres avec la royauté britannique ? Les trois ont un « sir » devant leur nom, car ils ont tous été anoblis par la couronne britannique certainement pour services rendus à leur nation.

Ce que j’essaye de souligner, c’est que cette famille royale transporte un lourd passé et tous ces sourires et ce décorum qui font encore saliver les tabloïds cachent une longue histoire jalonnée de souffrances, de racisme et d’esclavagisme. On n’a pas besoin d’aller loin pour en constater les effets délétères. Partout où le colonialisme britannique réfractaire aux mélanges de sang avec ceux que son élite ségrégationniste qualifiait de civilisations inférieures a mis les pieds, mieux valait ne pas franchir cette frontière devant leurs yeux. Cette xénophobie décomplexée est à l’origine du mépris affiché de la proximité et du métissage entre les francophones et des Premières Nations avant la conquête de 1759, et même longtemps après. Beaucoup de spécialistes se demandent aussi si le nettoyage ethnique de 1755 pendant le Grand Dérangement ne devait pas en partie à cette aversion du suprémacisme britannique pour le métissage avec ceux qu’on appelait les indigènes. Même si l’idée ne fait pas consensus chez les historiens, certains pensent que la déportation des Acadiens devait en partie à leur proximité culturelle et leur métissage avec des Premières Nations. Un mélange de sang qu’une certaine élite coloniale britannique ne pouvait supporter.

Évidemment la couronne britannique n’est plus ce qu’elle était sous la reine Victoria, mais personne ne peut se défiler face à son histoire. Alors, quand on célèbre, finance et folklorise cette institution comme on le fait à Ottawa, c’est aussi ce passé honteux qu’on avalise. Tous ces jeunes qui déboulonnent les statues de John Alexander Macdonald ou demandent de bannir Jeffery Amherst de la toponymie devraient pousser leur réflexion plus loin et contester aussi les institutions monarchiques qui ont télécommandé bien des horreurs commises dans le gigantesque Empire colonial britannique et qui continuent encore d’affecter les nations autochtones.

Que dire maintenant de la position de Justin Trudeau ? Comment peut-on se positionner comme le champion de l’ouverture et des excuses larmoyantes pour les discriminations d’hier et d’aujourd’hui sans oser s’interroger sur cette institution désuète et lourdement chargée en la matière ?

Je ne suis pas un fan du palais de Buckingham, mais étant donné que les temps sont durs et incertains pour les gens de spectacle comme moi, je vais quand même me proposer pour remplacer Julie Payette en attendant de trouver une autre photocopie de la reine à entretenir. Je prendrais la moitié du salaire qu’elle recevait. Je jure aussi d’être avenant et bienveillant avec le personnel (LOL).

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