La création probable d’un Sustainabilty Standards Board (SSB) mondial fera avancer la finance durable d’un grand pas, lui permettant d’exercer une pression plus efficace sur les entreprises, afin qu’elles s’engagent elles aussi dans un plan de transition vers la carboneutralité, dans leur propre intérêt et celui de la planète.

La cible nette zéro carbone d’ici 2050 est en voie d’être adoptée par le Canada et de nombreux pays, ainsi que par un nombre grandissant d’entreprises et d’investisseurs.

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« Jusqu’à maintenant, en l’absence de données comparables, les investisseurs et les banquiers peinent à évaluer les efforts des entreprises pour réduire leur empreinte carbone et profiter des nombreuses occasions d’affaires qui s’offrent à elles dans la transition vers une économie verte », écrit notre collaborateur.

Le SSB aura pour mission d’établir des normes internationales régissant la divulgation par les entreprises des informations de nature ESG, c’est-à-dire portant sur leurs actions et leurs effets sur l’environnement, mais aussi sur le social et la bonne gouvernance.

Puissant complément aux politiques publiques, la finance durable, qui tient compte des facteurs ESG dans ses décisions d’allocation du capital, est le changement le plus fondamental à survenir dans le système financier depuis des décennies. Mieux encore, ce virage s’impose pour le bien commun, contrairement à d’autres innovations douteuses.

Mais jusqu’à maintenant, en l’absence de données comparables, les investisseurs et les banquiers peinent à évaluer les efforts des entreprises pour réduire leur empreinte carbone et profiter des nombreuses occasions d’affaires qui s’offrent à elles dans la transition vers une économie verte.

Le problème vient d’une prolifération d’organisations qui proposent des cadres d’analyse, des normes et des engagements qui sont incomplets, dispersés et redondants. Bref, une pagaille de bonnes intentions.

Le problème est le même pour les entreprises désireuses de montrer leurs progrès. Elles ne savent plus où donner de la tête. Pire, la confusion permet à certaines de prétendre n’importe quoi.

Le SSB a été proposé l’automne dernier par l’IFRS Foundation, l’organisme qui supervise l’International Accounting Standard Board (IASB), lequel établit les normes comptables internationales, exception faite de quelques pays, dont les États-Unis.

De partout dans le monde, près de 600 organisations privées et publiques ont appuyé l’initiative : investisseurs institutionnels, régulateurs, associations professionnelles, ainsi que des personnalités comme Mark Carney, envoyé spécial des Nations unies pour l’action climatique et la finance. Au Québec, la Caisse de dépôt, Investissements PSP, Jarislowsky Fraser, Addenda, le Vérificateur général du Québec et la Ville de Montréal (conjointement avec Toronto et Vancouver) ont envoyé des lettres de soutien.

L’IFRS Foundation fera connaître les modalités de fonctionnement du SSB en septembre, en vue d’une annonce officielle à la COP26, la conférence de l’Organisation des Nations Unies sur les changements climatiques, qui se tiendra à Glasgow, en novembre.

Beaucoup de choses restent à préciser, mais il est acquis que le SSB ne cherchera pas à réinventer la roue et qu’il s’appuiera notamment sur les travaux de cinq organisations qui ont déjà débroussaillé le terrain. Deux d’entre elles mériteront une attention particulière : le TCFD et SASB.

De nombreux investisseurs institutionnels, banquiers et assureurs, y compris les huit plus importantes caisses de retraite publiques du Canada, ont demandé aux entreprises d’adopter le cadre de divulgation du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques, connu sous son acronyme anglais TCFD.

Créé par le Conseil de stabilité financière, qui regroupe des régulateurs et des banques centrales, le TCFD propose une démarche détaillée pour aider les entreprises à communiquer comment elles gèrent leur risque climatique. Il est appelé à devenir un outil clé pour mesurer le progrès des entreprises vers la carboneutralité d’ici 2050. La Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni l’imposent à leurs entreprises et d’autres pays pourraient s’y engager à Glasgow.

L’autre cadre fortement recommandé par les investisseurs est celui du Sustainabilty Accounting Standards Board (SASB), lancé il y a 10 ans à l’initiative du financier Michael Bloomberg, et qui couvre un large éventail de sujets ESG, avec des normes ajustées pour 77 secteurs industriels.

Une question importante à trancher sera le critère de l’importance relative, qui permet de trier l’information devant être divulguée ou non, selon la taille et la nature des activités de l’entreprise. Quelle information est pertinente à divulguer ? Et surtout, pertinente pour qui ?

Il est probable qu’on se limite, au début du moins, au critère utilisé pour les états financiers, à savoir l’information utile pour les investisseurs et les prêteurs. Toutefois, des gouvernements voudront imposer une divulgation supplémentaire pour capter plus largement les effets de l’entreprise sur l’environnement et la société. Déjà, la Communauté européenne exige une transparence très complète à cet égard.

Présenter les informations ESG de manière harmonisée sera un progrès important, mais insuffisant. Selon l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), dont est membre l’Autorité des marchés financiers, la création du SSB est prometteuse, car des normes internationales « établiraient la fondation pour une divulgation obligatoire par les entreprises », que les régulateurs canadiens devront considérer sérieusement.

Comme pour les états financiers, on devra également imposer un audit indépendant pour assurer de la véracité des informations ESG divulguées par les firmes.

En attendant, c’est la pression grandissante des grands investisseurs institutionnels qui incite les sociétés à ouvrir leur kimono. Celles qui dès à présent s’alignent sur la démarche du TCFD et qui adoptent les normes de SASB cheminent dans la bonne direction. Les normes du SSB ne les prendront pas de court.

Mieux encore, elles accéderont à terme à des capitaux moins chers et plus abondants, car les investisseurs favorisent de plus en plus les entreprises qui prennent les enjeux ESG au sérieux et boudent celles qui dorment au gaz.

*Miville Tremblay est également président du Conseil de surveillance de la normalisation comptable, qui supervise en matière de gouvernance deux conseils chargés d’établir les normes comptables des secteurs public et privé au Canada. Ces trois organismes appuient la création du SSB, mais il s’exprime ici à titre personnel.

> Lisez un rapport (en anglais) sur le rôle de la finance durable dans une transition vers une économie carboneutre

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