Vendredi dernier, la Cour supérieure a refusé à une administratrice de la page Facebook « Dis son nom », qui recueille et partage des témoignages de violences sexuelles, l’autorisation de demeurer anonyme alors qu’elle est poursuivie par Jean-François Marquis. Celui qui se plaint d’avoir souffert pour 50 000 $ de dommages après avoir été placé sur une liste de plus de 1500 agresseurs dénoncés ne cesse pourtant de faire parler de lui alors que se multiplient les procédures.

La publicité des débats judiciaires est une des valeurs les plus importantes de notre système. On aurait très bien pu pondérer autrement – affirmer par exemple que les poursuites en diffamation sont par défaut anonymes afin d’éviter d’aggraver le préjudice allégué –, mais c’est pour le moment la réalité de notre droit.

Rappelons que Jean-François Marquis s’est lui-même vu refuser sa demande de demeurer anonyme dans le cadre de la même poursuite. Lorsqu’il affirme que la récente décision de nier l’anonymat aux administratrices de « Dis son nom » est une prise de position de la juge contre le « bullying » (propos rapportés par Le Devoir), il y a donc lieu de tempérer ses ardeurs. La décision du tribunal sur l’anonymat n’est pas particulièrement surprenante – même si on peut en être déçu.

Ce n’est pas la question juridique qui est ici intéressante, c’est le message envoyé aux victimes.

Ce que cette histoire nous rappelle, ce sont les risques associés aux dénonciations d’agression sexuelle. Celles qui travaillent dans le domaine le savent très bien : dénoncer un agresseur peut s’accompagner de toutes sortes de représailles : au travail, en amitié, et même au tribunal. Quand on pense que certains avocats recommandent aux femmes de ne pas parler des violences sexuelles et conjugales qu’elles ont vécues de crainte de perdre la garde de leurs enfants, on comprend que dénoncer n’est pas une décision prise à la légère.

Lorsque le mouvement #metoo est devenu viral avec 80 dénonciations des comportements sexuellement violents de Harvey Weinstein, bien des gens se sont étonnés qu’on ait pu en arriver là. Qui était au courant ? Qui n’a rien fait ? Comment le silence a-t-il pu durer autant ?

En tant que société, nous avons un choix à faire : les violences sexuelles doivent-elles être cachées ou révélées ?

On ne peut pas à la fois s’étonner que les violences sexuelles soient les plus sous-dénoncées, et punir les femmes qui tentent de lever le voile. Celles qui nomment leurs agresseurs sont lourdement critiquées, on leur reproche (selon une conception très erronée du concept) de bafouer la présomption d’innocence, on leur en veut de ne pas s’être comportées en « bonnes victimes » en allant voir une police souvent inutile, voire revictimisante. Alors de grâce, qu’on cesse de s’étonner que les agresseurs restent dans l’ombre !

Il faudrait bien cesser de contrôler la manière dont les victimes nous rendent le service de dénoncer les hommes violents (car elles protègent ainsi leur prochaine), et plutôt réfléchir à la manière de leur faciliter la tâche.

Car il est certain que la légèreté avec laquelle les hommes accusés de violence assomment les femmes de poursuites en diffamation ne fait rien pour enrayer la culture du viol. J’ai moi-même reçu une menace d’une telle poursuite simplement pour avoir partagé le témoignage d’une amie. Lorsqu’on ne connaît pas le droit ou qu’on a peu de moyens, même une menace frivole a de quoi faire trembler.

C’est donc un triste jour pour les victimes de violences sexuelles – mais c’est le cas depuis que la poursuite a été entamée. La question va bien au-delà de l’anonymat. Qu’elles gagnent ou qu’elles perdent, les administratrices de « Dis son nom » auront souffert le stress et les coûts de la judiciarisation. Et pendant qu’elles luttent pour elles, mais aussi pour tant d’autres, Monsieur Tout-le-Monde continuera d’affirmer « comment ça se fait qu’on ne savait pas ? » et « voyons donc, ça n’existe pas, ça, la culture du viol ».

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