Pour éviter que la crise ne se transforme en chute libre, le journaliste Mickaël Bergeron propose que les médias repensent leur modèle de financement, assument leurs responsabilités sociales et reconnaissent l’importance de la diversité des salles de nouvelles.

Cependant, ce contre-pouvoir est aujourd’hui fragilisé. Si l’information devrait être indépendante des pressions politiques et économiques, si l’information n’a pas à être populaire, mais à être juste, la structure médiatique en a plutôt fait un produit de consommation, comme peuvent l’être la mode ou le sport professionnel, et donc dépendant de ses succès.

Hannah Arendt, philosophe (et bien plus encore), a écrit : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat. »

L’information ne devrait pas être là pour faire plaisir à personne ; elle est là pour témoigner, vulgariser et amener les citoyenᐧneᐧs à mieux comprendre le monde.

Elle doit aussi déplaire aux lieux de pouvoir et pointer du doigt les travers de la société. L’information n’a pas à toujours être grave et sévère, mais elle doit pouvoir être ce couteau qui joue dans la plaie. C’est son rôle. Une démocratie ne peut exister sans que circule une information libre et indépendante. Indépendante de l’économie, de la politique, de la religion, des tendances. Dans un monde idéal, l’information ne chercherait pas les « likes ».

La crise des médias, comme on l’appelle, est principalement une fuite des revenus des médias vers les géants de l’internet (surnommés « le GAFAM » pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Plus que jamais, les médias doivent produire du contenu qui fait vendre et qui attire les clics, sinon ils ferment.

Souvent, le choix de la une d’un journal repose moins sur son importance que sur son potentiel à stimuler les ventes. Parfois, un sujet est couvert seulement parce qu’il risque d’attirer les clics, d’être « viral ». Parfois, les médias tentent de trouver LA façon de rendre cheesy un sujet un peu monotone – ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, sauf si on laisse tomber certains sujets simplement parce qu’ils ne se « fromagent » pas.

Cette façon de faire est souvent considérée comme une fatalité. Un peu comme lorsqu’on accepte un emploi qui ne nous tente pas parce qu’il faut bien payer ses factures, « parce qu’il faut bien vivre ». Les médias font parfois des nouvelles « parce qu’il faut bien vivre ». Tout le monde le fait, à différentes intensités. Parfois en l’assumant pleinement, parfois sans se l’avouer, parfois en nuançant avec plusieurs autres facteurs très louables – par exemple, stimuler sa popularité peut autant servir à assurer sa santé financière qu’à maximiser la visibilité de ses nouvelles.

À cette crise des revenus s’ajoute celle des fake news, des fausses nouvelles. À la suite d’un sondage mené en avril 2019, des chercheurs notent que « 40 % des personnes interrogées ont déclaré avoir du mal à faire la part des choses entre une information factuelle et une fausse nouvelle ». Qu’ont fait les médias pour que les gens soient si mélangés ? Ont-ils trop souvent dit n’importe quoi ? Ont-ils manqué de sérieux ? Pourquoi des gens confondent-ils des médias avec la satire ? Sûrement pas juste pour une histoire de logo.

Dans la lignée de cette crise des fausses nouvelles se cache aussi une crise de confiance envers les médias. Plusieurs personnes ne s’y reconnaissent pas – peu de diversité culturelle, l’impression d’un monopole des classes privilégiées, etc.

Tout ça se nourrit. Ne pas se retrouver dans les médias censés nous représenter crée une méfiance qui elle-même ouvre la porte aux théories du complot ou à la contestation des faits, et donc, aux fausses nouvelles. Si Donald Trump et même d’autres personnalités moins colorées réussissent à semer un doute dans l’esprit des gens, c’est que cette confiance a diminué. Ou que des tribunes en ont abusé.

La baisse de confiance est une tendance mondiale. Si en 2020, 44 % du public canadien fait « la plupart du temps » confiance aux médias, c’était 52 % en 2019. Néanmoins, les Canadiens et Canadiennes se méfient moins que les autres, la moyenne mondiale étant de 38 %.

J’en ai traversé, des crises, en 18 ans dans l’univers médiatique. J’ai bossé dans un hebdomadaire pendant la guerre des hebdos et à Radio-Canada pendant les vagues de compressions (celles de 2009 à 2014). J’ai travaillé à la reconstruction de CKIA, une radio indépendante qui venait d’éviter la faillite. Pendant les années où je collaborais au Voir, je l’ai vu passer d’un hebdo à un magazine mensuel puis à un magazine Web, pour finalement perdre mon contrat quelques mois avant la fin de ses activités. J’ai vu des fusions de postes à Télé-Québec. J’étais au Soleil lors de sa procédure de faillite et de son rachat subséquent par une coopérative formée par les travailleurs et travailleuses. Ma carrière n’a été qu’une succession de lieux en métamorphose. Ou en dérapage contrôlé. Ou en chute libre.

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Tombée médiatique

Tombée médiatique
Se réapproprier l’information

Mickaël Bergeron
Éditions Somme toute, 2020
232 pages

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