« La société accepte-t-elle mieux les problèmes de santé mentale qu’autrefois ? » La rencontre (virtuelle) avec des étudiants universitaires devait porter sur les questions constitutionnelles et le Sénat, mais cette question inattendue est venue. Les étudiants avaient lu mon dernier livre, Sénateur, moi ?, dans lequel j’évoque les problèmes de dépression et de migraines chroniques qui me hantent depuis ma jeunesse.

N’étant pas du tout un expert dans le domaine, je ne savais pas trop quoi répondre. J’y suis allé d’un long et boiteux exposé, comparant maladroitement la situation des personnes physiquement handicapées et les personnes souffrant de ce qu’on pourrait appeler des handicaps mentaux. J’ai parlé de mon amie, la sénatrice Chantal Petitclerc, une personne pour qui j’ai une grande admiration et affection. Rien n’arrête Chantal, mais le nombre d’obstacles auxquels elle doit faire face quotidiennement, encore aujourd’hui, est consternant. Ne serait-ce que les nombreux établissements qui ne disposent toujours pas de rampes d’accès. Puis j’ai laissé tomber : « J’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup de rampes d’accès pour les personnes souffrant de santé mentale. »

Cette affirmation n’est pas appuyée par une étude approfondie des faits, des statistiques. Ce n’est qu’une impression. Mais on sait par les médias que malgré les politiques fédérale et provinciale en la matière, les listes d’attente pour des services de soutien psychologique comptent encore des milliers de noms. La situation s’est probablement aggravée depuis le début de la pandémie.

Deux jeunes intervenantes de la DPJ à Montréal viennent de s’enlever la vie. Le suicide a rarement une seule cause, et nul ne sait pour l’instant dans quelle mesure les conditions de travail difficiles ont contribué – ou non – à la chute fatale de ces deux personnes de moins de 30 ans. Ce qui est franchement inquiétant, cependant, c’est que deux personnes qui œuvraient au cœur même du système de santé et de services sociaux n’aient apparemment pas trouvé un soutien suffisant pour les empêcher de se retrouver au bord du précipice.

Selon un sondage commandité par Bell, « 84 % des Canadiens se disent maintenant à l’aise de parler ouvertement de santé mentale, comparativement à seulement 42 % en 2012 ». Il s’agit d’un progrès fulgurant.

De nombreux artistes vedettes parlent désormais ouvertement de leurs ennuis de santé mentale, sans que leur carrière n’en souffre. La situation me semble toutefois différente dans d’autres secteurs, les affaires et la politique notamment. Le hasard de ma carrière a fait que j’ai côtoyé et que je côtoie encore des acteurs de ces deux domaines. Combien d’entre eux ont fait une dépression ou un burn-out, sans qu’on n’en entende jamais parler ?

Dans mon livre, je suis sorti du placard de la santé mentale. Si je l’avais fait des années plus tôt, aurais-je été nommé éditorialiste en chef de La Presse ? Sénateur ? J’en doute. Depuis ma « révélation », je sens que les gens me voient différemment. Je ne peux pas avancer de faits concrets, encore là, ce n’est qu’une impression. Chose certaine, il a fallu que je frappe à de nombreuses portes avant de trouver mon emploi actuel, au sein d’une firme nationale exceptionnelle, réputée pour son ouverture à l’égard de la diversité dans toutes ses dimensions.

Candidat ?

Il a été récemment question que je me porte candidat aux prochaines élections provinciales. En serais-je capable, compte tenu de ces problèmes de santé qui, forcément, me ralentissent ? Sans doute pas. De toute façon, ma vulnérabilité psychologique serait devenue un enjeu, sinon publiquement, certainement dans la campagne en sourdine de mes adversaires.

Le Québec est-il prêt pour un politicien ouvertement dépressif, même si cette dépression est traitée efficacement par des médicaments depuis des années ? Cette vision d’un député devant absorber chaque jour un petit cocktail d’antidépresseurs aurait fait peur.

Je mentirais si je disais que, même avec les médicaments, la dépression n’a aucun effet sur moi ; c’est un combat de tous les jours. Cela dit, la maladie ne m’a pas empêché de connaître une carrière raisonnablement réussie en journalisme, malgré le stress inhérent à ce métier. Et je crois jouer un rôle utile dans la profession que j’exerce maintenant, entouré comme je le suis de collègues compréhensifs.

Selon l’ancien Commissaire à la santé et aux services sociaux du Québec, Robert Salois, la stigmatisation est encore bien présente à l’égard des personnes souffrant de troubles mentaux, même au sein du système de santé. Dans un rapport publié en 2012, le Commissaire notait : « Le contact direct et individuel avec une personne présentant un trouble mental, engagée socialement ou professionnellement, peut faire diminuer chez l’autre personne les représentations qui entretiennent la stigmatisation liée à la maladie mentale : c’est la stratégie qui semble la plus efficace pour diminuer la stigmatisation. »

Autrement dit, les personnes atteintes ont besoin de modèles, non seulement dans le domaine des arts, mais aussi dans les affaires, en politique, en médecine, en droit, en construction, en enseignement, dans tous les domaines où des gens ont réussi malgré leurs difficultés. Il faut plus de Chantal Petitclerc de la santé mentale. Et davantage de rampes d’accès.

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien ou avez des idées suicidaires, vous pouvez communiquer, de partout au Québec, avec un intervenant de Suicide Action Montréal au 1-866-APPELLE (1-866-277-3553).

> Consultez le site web de Suicide Action Montréal

> Consultez le site web du Centre de prévention du suicide de Québec

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