Lorsque j'enseignais la sociologie, je donnais fréquemment le cours de base, Individu et société. Tout au long de cette déstabilisante pandémie, qui soufflera bientôt sa première bougie, je me suis surpris à beaucoup réfléchir à la société, à l'individu, et à repenser à au moins deux manières de percevoir l'individu et l'individualisme.

Dès le premier jour de ce cours, jamais facile, Individu et société, je demandais aux élèves, arrivant du secondaire, de pondre un texte très bref, dans lequel ils expliquaient ce qu'est, selon eux, l'individualisme. Une fois le texte écrit, les personnes qui le désiraient étaient invitées à lire à haute voix leur proposition. Cela alimentait une discussion qui traversait l'ensemble du cours.

De manière assez régulière, voire prévisible, les élèves, en grande majorité, me disaient, de manières diverses, que l'individualisme, c'est le fait de beaucoup penser à soi-même, de penser, d'abord et avant tout, à soi-même, de considérer les autres comme étant secondaires par rapport à soi-même. Souvent certains évoquaient l'individualisme comme étant lié au narcissisme, à l'égocentrisme, au nombrilisme, au manque de solidarité et d'empathie.

Une personne, dont je ne vais dévoiler ni le genre ni le nom, avait écrit textuellement : « Pour avoir un moi total, je dois faire tout ce que je fais. Je ne vois pas comment, en plus de tout cela, je m'intéresserais aux autres, à la société. »

Je n'invente pas ce propos. Je l'ai toujours retenu et il a ouvert la porte à moult discussions. Inutile de dire que cet élève a profondément détesté la sociologie, science de la vie en société, matière hélas obligatoire dans son cursus.

D'autres élèves, minoritaires, me disaient que l'individualisme, c'est la valorisation de la personne humaine, de l'individu humain, de tous les humains. Selon ces personnes, ne penser qu'à soi ne peut pas faire partie d'une authentique et riche vision individualiste.

Dans le cadre de ce cours, je proposais aussi une discussion sur le propos que voici, de John Saul : « On oublie aussi que la vraie définition de l'individualisme, c'est l'obligation de participer à la société. Parce que si vous n'êtes pas actif dans la société, vous n'êtes pas un citoyen. Et l'idée de citoyen est à la base même de l'individualisme occidental. »

Il y avait aussi une discussion, portant sur ce propos, d'Edgar Morin : « Le côté positif de l'individualisme moderne est de donner à chacun plus de responsabilité et d'autonomie ; son côté négatif est de dégrader les solidarités et d'accroître les solitudes. »

Solidarité ou repli

Je pense que l'actuelle pandémie, imprévue, et peut-être un peu prévisible, nous en a fait voir de toutes les couleurs en ce qui concerne l'individu et la société, en ce qui concerne les solidarités ou les replis égocentriques.

En effet, lorsqu'une société est confrontée à une crise globale, une crise susceptible d'entraîner morts et souffrances, toutes les personnes sont confrontées à des choix, basés sur des valeurs fondamentales.

Il y a le choix des négationnistes, souvent des conspirationnistes. Comme la crise est, à leurs yeux, fabriquée, ils ont l'impression que les solidarités proposées, un peu forcées, sont basées sur une velléité tyrannique. Alors, ils suivent la voix de leur conscience, souvent repliée sur leur ego qu'ils pensent lucide et clairvoyant.

Il y a les personnes qui reconnaissent l'existence d'un problème. Mais la survalorisation, un peu trumpiste, de leur moi les amène à tricher, à faire fi des règles et consignes.

Il y a les individus, probablement majoritaires (au moins 80 %), qui, dans les grandes lignes, se sentent solidaires. Ces personnes ne veulent pas transmettre la maladie, et elles ne veulent surtout pas l'attraper, connaissant un peu le cortège de souffrances et de séquelles dévastatrices qui vont de pair avec cette horrible crise virale, et profondément sociétale. Alors, ces personnes acceptent plutôt bien les consignes et sacrifices.

Ma thèse est donc que cette pandémie nous a permis, à toutes et à tous, de bien voir, de mieux discerner, ce que j'appellerai le choc des individualismes. Un individualisme égocentré et un individualisme solidaire, respectueux des autres individualités.

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