C’est à peine possible pour moi d’imaginer l’horreur de ce que Mamadi III Fara Camara et ses proches ont vécu devant sa fausse accusation. Ça me laisse en sueur de constater, avec Yves Boisvert, que sans la preuve d’une caméra vidéo et sans le deuxième regard des enquêteurs, « M. Camara serait encore détenu. Peut-être jusqu’à son procès… Peut-être déclaré coupable. »

Mais il faut dire à haute voix ce que M. Boisvert suggère à demi-mots : nous sommes devant un autre cas qui révèle le racisme systémique du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Je pèse mes mots. Je n’accuse pas tel policier ou tel enquêteur. J’accuse le fonctionnement et l’administration du SPVM. Je me pose une question relativement simple mais déterminante : si mon fils, du même âge que M. Camara, avait téléphoné au 911 pour signaler l’agression d’un policier, et s’il avait été trouvé sur les lieux de son infraction routière – sans arme – quand les autres policiers sont arrivés, est-ce qu’il aurait été arrêté et mis en prison pendant six jours malgré ses explications et son statut de jeune professionnel sans antécédents ? La réponse est non. Mon fils est blanc et il provient d’un milieu québécois bourgeois.

M. Camara aurait pu, cependant, être l’un de mes brillants étudiants de doctorat nigérians, qui, je l’espère, ne croiseront jamais le chemin de la police de Montréal.

Pensons au cas, très récent aussi, de MKwadwo Yeboah, arrêté et menotté devant sa fille sans la moindre raison, sauf peut-être parce qu’il « conduit une voiture trop luxueuse pour un homme noir », une situation jugée « si grave » par le SPVM que six policiers étaient sur les lieux pour arrêter un homme qui s’en allait à l’épicerie. On ne peut qu’imaginer avec effroi la violence de leur réponse si MYeboah avait eu la témérité de s’objecter avec une colère justifiée.

Pour une réforme majeure du SPVM

Les exemples se multiplient tristement. Comme membre de la Commission des droits de la personne en 2017-2018, j’ai vu de nombreux dossiers où la question « est-ce que le même traitement serait réservé à ma fille, à mon fils ou à moi ? » recevait une réponse négative sans équivoque. Dans la foulée de Black Lives Matter et des manifestations immenses de l'été dernier à Montréal comme partout à travers le monde, les Montréalais pouvaient espérer voir des politiques mises en place par le SPVM pour éviter les cas comme ceux de M. Camara ou de MYeboah. Mais non, le SPVM persiste et signe sur ses préjugés institutionnels.

Une enquête spéciale sur le cas de M. Camara serait certes justifiée, mais l’enjeu est plus large. Il faut une réforme de fond en comble du SPVM. Il faut qu’un réflexe de base de chaque policier et policière jusqu’en haut de la pyramide soit de se poser la question : est-ce que mon geste reproduit le profilage racial ? Et il faut que chaque membre du SPVM soit redevable si la réponse s’avère à être oui. Nous avons par ailleurs la preuve, dans le cas de M. Camara, que le SPVM devrait reconsidérer sa décision de ne pas déployer de caméras portatives pour les policiers.

L’insécurité vécue par Mamadi Camara, et l’insécurité de MYeboah, c’est l’insécurité de tout le monde dans ma ville. Ce sont mes amis, mes voisins, mes coparents de la garderie et parfois mes étudiants. Leur traitement m’enrage et je souhaite que ça devienne une rage partagée par tous mes concitoyens.

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