Angela Merkel tirera sa révérence de la vie politique allemande au lendemain des élections législatives de septembre. Cheffe d’État singulière et aux abords peu inspirants, elle aura été une figure politique majeure du siècle. Avec ses airs de dame patronnesse, on la confondrait volontiers avec une vendeuse du grand magasin berlinois KDV, rayon des produits ménagers. Tout au long de sa vie politique, elle n’a jamais cessé d’étonner. C’est qu’il n’y a rien de pittoresque chez elle, à part un goût suranné pour la mesure et une affection tardive pour les brushings.

Il ne faut pas compter sur la chancelière pour promettre monts et merveilles aux électeurs. Elle veille sur les finances et l’état du pays comme du lait sur le feu, pas question de débordements ni de promesses qui trompent le peuple en entraînant le dirigeant politique dans une servitude désastreuse. Pas question non plus de s’empêtrer de réformes mirifiques mais inapplicables. En toutes circonstances, chez Merkel, la raison tempère l’attirance pour l’aventure. Stoïque, elle laisse aux autres les rêves grandioses qui annoncent des lendemains aussi beaux qu’un conte et qui, chaque fois, dérapent dans l’improbable.

Quand, à l’été 2015, le flux des réfugiés et des demandeurs d’asile tétanisait le reste de l’Europe, elle commet l’impensable : elle accueille plus de 1 million de réfugiés, défiant l’opinion allemande, méfiante sinon hostile à l’arrivée de ces migrants souffreteux. Une audace folle chez celle que les Allemands surnomment Mutti (maman). Le cœur ne cesse jamais de battre chez cette politicienne d’acier.

Fille d’un pasteur communiste de Hambourg, elle en a hérité une certaine austérité morale qui a guidé son action politique pendant ses 16 années à la tête du pays.

Une jeunesse passée dans l’ex-RDA lui aura aussi inculqué le goût du silence et de la discrétion, qualités rares mais inestimables en politique.

Aucun exhibitionnisme ni aucun clinquant chez cette politique formée à l’éthique protestante. Ne comptez pas sur elle pour singer le bon peuple à coup d’expressions populaires ou de déguisements enjôleurs.

Il y a quelque chose d’atypique dans sa manière de gouverner, un mélange insolite de fausse douceur et de rigidité, de souplesse et de ferrugineux. Des atouts certains quand on est comme elle à la tête d’une coalition chancelante et que vos vis-à-vis de l’Union européenne se liguent contre vous pour mater les critères trop vertueux de Maastricht.

Elle ne manque pas d’adversaires, ni parfois d’ennemis dans ses propres rangs. Il est vrai qu’au sein de la droite chrétienne allemande (CDU), on s’est toujours méfié des idées libérales de cette chancelière aux penchants conservateurs. Entêtée parfois, toujours d’une fidélité impérieuse à ses convictions, elle passe outre les agacements qui fusent autour d’elle, faisant la sourde oreille aux enchanteurs qui lui reprochent son manque d’illusions et des opinions si peu inconstantes.

Il n’y a rien de moderne en elle. Cet esprit de sérieux qu’elle promène sur tous les tréteaux a l’air venu d’un autre temps tellement il contraste avec le nombrilisme de ses collègues du G20.

Cette sobriété coutumière, souvent raillée hors des frontières germaniques, fait merveille dans cet État raisonnable que les embrasements du passé ont dégoûté des passions qui agitent la vie politique des pays voisins.

Pas de Gilets jaunes ici à la moindre controverse, pas de syndicats vociférants à l’annonce d’une réforme du Code du travail, aucune émeute aux frontières des Länders quand les migrants demandent asile. Des querelles au Bundestag, oui, de la contestation venue de factions adverses comme de l’intérieur de sa coalition, certes, mais chaque fois, même dans le doute et le découragement, Angela Merkel place l’intérêt de la nation au-dessus de son salut personnel. Dans l’Allemagne de Merkel, la contestation rageuse de la rue n’a jamais forgé de bonnes politiques ni guidé le pays sur la voie de la réussite. Inutile, alors, de trottiner derrière l’opinion comme un vieux lubrique à la recherche de plaisirs faciles.

Jamais ne l’a-t-on vue grisée par les encens du pouvoir. Elle conduit le plus puissant pays d’Europe et l’une des premières puissances économiques mondiales, avec la modestie d’un bourgmestre de province.

Le manque d’excès de cette chancelière faussement ordinaire ne fait pas rêver, c’est bien connu. Il n’y a rien de mou chez cette femme dont les rondeurs apaisantes camouflent une armure. Tel est son mystère paradoxal : faute d’éblouir, elle étonne en feignant la banalité. Merkel gouverne sans régner, ce qui rassure le pays. Qu’importe les moqueries, elle n’a que faire du bréviaire de la gauche et du goupillon de la droite pour tracer son chemin dans les jours de quiétude comme dans la tourmente.

De tous les défis qui attendent l’Allemagne de l’après-Merkel, celui de sa succession sera l’un des plus périlleux. L’Histoire va vite, mais cette fois, la relance urgente de l’Allemagne et de l’Europe ne pourra compter sur le bon sens irréductible grâce auquel Angela Merkel a su pendant si longtemps mettre en mouvement la politique internationale et celle de son pays.

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