Depuis le début du XXsiècle, le Parti républicain américain représente l’élite économique. Or, depuis quelques décennies, il emprunte une rhétorique populiste et incendiaire pour mobiliser sa base conservatrice (très majoritairement blanche) de façon à faire des gains électoraux à court terme.

Ce discours prétend défendre une Amérique traditionnelle face à un ennemi existentiel : une élite progressiste éduquée, démocrate, urbaine, cosmopolite et favorable à un État fédéral interventionniste.

Cette élite menacerait la vision du monde, libertarienne et conservatrice, des républicains : défense des droits des États, frein au pouvoir de l’exécutif fédéral, gouvernement limité et libre marché, préservation des institutions, maintien de la paix et de l’ordre, lecture originaliste de la Constitution, etc.

Le discours républicain appelle donc les « patriotes » à défendre les libertés constitutionnelles face au « socialisme totalitaire » des démocrates. Plusieurs milliers de ces patriotes ont pris d’assaut le Capitole le 6 janvier dernier, avec, comme cri de guerre : « 1776 ! »

La référence à 1776 est largement reprise par les trumpistes. Le 2 janvier, le sénateur républicain Ted Cruz a comparé les contestataires du résultat de l’élection de novembre 2020 aux patriotes de 1776, qui avaient libéré les États-Unis de la tyrannie du roi d'Angleterre. Invoquant des fraudes massives, Cruz et une dizaine de sénateurs ont tenté de bloquer la certification de la victoire du démocrate Joe Biden, et ce, même si la Constitution ne leur accorde pas ce pouvoir. Le déroulement et le résultat des présidentielles relèvent de la compétence exclusive des 50 États.

Cruz, pourtant docteur en droit constitutionnel d’Harvard, sénateur d’un parti conservateur valorisant la paix et l’ordre, le respect des institutions, de la Constitution et des droits des États a encouragé l’assaut insurrectionnel sur le Capitole, participé à une ingérence fédérale dans les compétences des États, refusé le résultat d’une élection légitime et donc nié la volonté du peuple, nui à la passation pacifique du pouvoir, contribué au renforcement du pouvoir de l’exécutif fédéral en inféodant son parti au président Trump, travaillé à garder au pouvoir un tyran en puissance.

Jusqu’à tout récemment, Cruz était contesté au sein de son parti. Mais avec la radicalisation de la base républicaine – qui a connu une accélération prodigieuse grâce aux médias sociaux et au discours fasciste de Trump –, le fidèle trumpiste jusqu’au-boutiste est devenu une figure centrale de son parti.

Certes, des leaders républicains ont critiqué Trump pour l’assaut du 6 janvier ; plusieurs se sont depuis rétractés. Le leader des républicains à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, s’est d’ailleurs déplacé en Floride pour renouveler son allégeance à Trump et recevoir la caution de ce dernier, désormais essentielle.

Les 10 représentants républicains (sur 211) ayant soutenu la destitution de l’ancien président sont devenus la cible d’une base radicalisée et mobilisée qui intimide, menace et écarte les élus qui contredisent Trump. La fameuse « culture de l’annulation » (« cancel culture »), que les républicains pourfendent comme arme de la gauche, est pourtant bien présente au sein du parti trumpiste.

Les dirigeants républicains sont complètement dépassés par la radicalisation extrême de leur base (racisme, conspirationnisme, autoritarisme, etc.). Ils y ont néanmoins contribué par leurs discours… afin de faire des gains politiques à court terme. Ces leaders sont pris en otage par le mouvement qu’ils ont alimenté.

Qui sème le vent récolte la tempête. Mais ils semblent surpris de la récolte !

Il n’y a plus de retour en arrière. La base républicaine est imprégnée d’un discours trumpiste mensonger et haineux. Trump détient un trésor de guerre de plus de 200 millions de dollars. Les ténors républicains craignent pour leur siège, leur sécurité physique et l’avenir de leur parti. S’ils se distancient de Trump, ce dernier pourrait fonder un nouveau parti patriote, emportant une bonne partie de l’électorat républicain, laissant la voie libre aux démocrates.

L’élite républicaine a ainsi fait son lit avec le trumpisme et son attention se porte sur les élections de mi-mandat de 2022. En conservant coûte que coûte l’unité de leur parti, elle espère regagner le contrôle de la Chambre, avec un redécoupage électoral partisan, la suppression du vote de couleur et la mobilisation de sa base, avec une rhétorique incendiaire. Trump a prouvé qu’en radicalisant et en fouettant la base, une victoire in extremis était possible au Collège électoral (grâce à la surreprésentation des petits États républicains), alors que deux conservateurs modérés, John McCain et Mitt Romney, avaient perdu en 2008 et 2012.

N’eut été de l’incurie de Trump face à la pandémie, il est fort probable que le même cocktail explosif eut donné la présidence aux républicains en 2020 – une dizaine de milliers de votes dans une poignée d’États (Arizona, Georgia, Nevada, Wisconsin) ont déterminé le résultat de l’élection.

La stratégie républicaine peut fonctionner en 2022. Elle annonce toutefois un désastre à long terme : le Parti a perdu des milliers de membres plus modérés et sa base démographique s’effrite.

Pour contrer les forces destructrices minant la vie démocratique, il importe de réguler les médias sociaux, lieu de propagation des idées extrémistes et complotistes, mais de légiférer pour contrer la suppression du vote de couleur et le découpage électoral partisan, qui fait taire la voix de la majorité au profit de la minorité.

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